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tentions, et m’en irai de même, si vous le permettez. Mon chariot n’est qu’à deux pas d’ici. Bonjour donc, je ne veux pas me rendre importun.

— Restez, cousin, dit Fieka. Mon père a quelques soucis en tête; mais vous le désobligeriez, si vous nous quittiez ainsi.

— Fieka, poursuivit le meunier baisant sa fille sur le front, deux fois déjà ce matin vous a donné raison et à moi tort... Tâchons d’en rester là, si c’est possible! Ensuite il tendit la main à son jeune hôte. — Il ne sera pas dit que j’ai repoussé de chez moi le fils de Joseph Voss. Vous ne devez pas nous quitter, Heinrich, sans avoir rompu le pain avec nous... J’ai quelques affaires à la ville qui ne sauraient se remettre ; mais vous attendrez ici mon retour.

Une fois dans la carriole, et pendant la première partie de la route, le maître et le serviteur n’échangèrent pas beaucoup de paroles. Voss se sentait quelque peu en faute, au moins d’intention. Friedrich ne semblait pas en revanche autrement émerveillé de l’héroïque probité dont le meunier allait faire preuve, et par ses allusions détournées lui donnait à prévoir quelques repentirs tardifs ; mais tout à coup il se tut, arrêta le modeste équipage, sauta sur la route, et, déliant lestement le cheval du chasseur, le fit descendre au fond du grand ravin de Kolpin, où il le cacha dans un fourré de ronces, après quoi il revint prendre place sur le siège.

— A quoi pensez-vous? demanda le meunier.

— Je pense à deux cavaliers que je vois là-bas, dévalant du haut de la côte, et dont l’équipement reluit au soleil. Ce sont des Français, à ce que je crois, et il ne serait pas sain, j’imagine, qu’ils reconnussent le cheval de leur camarade. N’est-ce pas aussi votre avis ?

— Ah! certes, répondit le meunier. Puis, comme ils passaient devant le bois de Stemhagen, Friedrich, montrant du bout de son fouet un arbre sous lequel se voyaient encore quelques débris de paille : — C’est là, dit-il, que j’ai laissé l’homme.

— Et je donnerais bon pour qu’il y fut encore, soupira Voss.

— Peu probable, reprit l’autre. Il pleuvait trop hier soir pour qu’on s’amusât à dormir en plein air.

Survinrent les deux cavaliers, qui demandèrent, se trouvant à la jonction de plusieurs routes, celle du moulin de Gielow. Friedrich tout aussitôt leur indiqua, sur la droite, le chemin des bois de Cumrowsh, vers lequel ces êtres naïfs se dirigèrent incontinent.

— Avez-vous le diable au corps? demanda le meunier. Ils ont à faire le tour du monde avant d’arriver au moulin par cette route.

— Je le sais, mais je n’aime pas à déjeuner d’une soupe aux choux, repartit flegmatiquement le garçon meunier, et voyant que