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de macouba orangé. Comme pour compléter par une sensation de l’ordre le plus élevé ce bien-être physique et moral, le meunier Voss fit alors son entrée avec la fameuse valise.

Mieux que personne, connaissant la situation embarrassée de ce pauvre père de famille, le magistrat pouvait apprécier l’héroïsme de la restitution qu’il venait accomplir. De prime abord cependant il ne songea qu’aux embarras d’une affaire où la mystérieuse disparition d’un soldat français jetait tant de périlleuses obscurités. Aussi se fit-il confirmer à plusieurs reprises que le chasseur devait nécessairement se retrouver, et que Friedrich était parti sur ses traces. — Plaise à Dieu qu’il le ramène ! dit l’amtshauptmann. Sans cela, cette aventure pourrait vous coûter la vie.

— Pourtant je n’ai rien à me reprocher, répliqua le meunier consterné. Faut-il en mon vieil âge que je sois tombé dans un piège pareil?...

— Encore est-il fort heureux, je vous assure, que le cheval et la valise soient ainsi revenus. Voyons cette valise, que contient-elle?

Devant le monceau de monnaies et de bijoux qu’elle recelait, l’amtshauptmann demeura comme ébloui : sur les cuillers d’argent, il reconnut l’écusson des Uertzen, une famille noble des environs. — Voilà bien la preuve que tout ceci est volé,... ce qui du reste ne rend pas votre position beaucoup meilleure... C’est égal, ajouta-t-il après quelques tours de chambre et quelque méditation en posant tout à coup la main sur l’épaule du meunier, c’est égal, ami Voss, vous êtes un brave homme. Je n’en doutai jamais; cependant votre position, votre gêne actuelle, et la manière dont ce trésor tombait en vos mains, son origine équivoque... Vraiment, mon cher, je ne puis vous refuser mon admiration.

Le meunier devint fort rouge, et ses regards se portèrent sur la pointe de ses grosses bottes. Il sentait bien que les éloges enthousiastes de l’autorité n’allaient point à leur véritable adresse, le rôle de Fieka ayant été omis dans son précédent récit. A la longue, il n’y tint pas, et, pétrissant à le déformer pour jamais son large feutre, il avoua nettement que sans les conseils de sa « petite » l’argent du Français serait encore dans l’armoire du moulin de Gielow. — Et moi, j’aurais le cou dans un nœud coulant, ajouta-t-il avec un frisson.

— Ma foi, dit l’amtshauptmann, je n’ai pas en général grande considération pour les filles; mais celle-ci vous fait honneur, à vous et à sa mère. N’oubliez pas de me l’amener,... je veux dire de l’amener à ma femme, la première fois que vous ferez un tour par ici. Maintenant portez sans aucun retard cette valise à la rathhaus. Les Français y ont organisé une espèce de tribunal, — beau tribunal, ma foi! — vis-à-vis duquel il importe de vous mettre en règle. De-