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des hommes actuellement sous les drapeaux en viennent aussi. La petite propriété en souffre la première, car un petit cultivateur à qui on enlève son fils est un homme ruiné. Par là s’explique la plus grande partie du vide; l’émigration ne vient qu’après. Une faible partie de cette émigration a pour effet de subvenir aux nombreux emplois que crée tous les jours l’extension de l’industrie et du commerce, le développement des chemins de fer, de la poste, des télégraphes. Si la population suivait son cours, ce recrutement continu serait insensible. L’émigration regrettable est celle que déterminent les travaux extraordinaires des villes et surtout de Paris. Le département de la Seine a gagné à lui seul 750,000 nouveaux habitans en quinze ans, tandis que la moitié du territoire s’est dépeuplée. Les réclamations ont été encore unanimes à cet égard; on ne peut espérer les étouffer. L’attraction des villes a de plus cet inconvénient, qu’elle donne aux ouvriers des habitudes de dissipation, et les sépare de leurs familles. Ce déplacement n’est pas sans influence sur l’accroissement des décès et la diminution des naissances; on meurt plus jeune à la ville qu’à la campagne, on y a moins d’enfans. La vie rude et fortifiante des champs fait seule une copulation vigoureuse et saine. On le voit bien par les exemptions du service militaire pour infirmités précoces; elles sont toujours plus nombreuses dans les villes.

Pour réparer ses pertes, la France a besoin avant tout d’une forte réduction de l’armée permanente. Avec la nouvelle loi qui augmente la durée du service militaire et qui organise la garde nationale mobile, un contingent annuel de 50,000 hommes devrait suffire. Peut-être est-il permis d’entrevoir le moment où l’armée permanente ne se recrutera plus que par l’engagement volontaire, comme en Angleterre. Le corps législatif a heureusement gardé le droit de voter tous les ans le contingent; si les réclamations universelles ne reçoivent pas satisfaction de la chambre actuelle, elles se feront jour dans les prochaines élections et s’imposeront à la plupart des candidats. Il en est de même de la réduction des travaux de Paris et des autres grandes villes. La catastrophe de la Compagnie immobilière doit avoir dissipé les illusions. Le commissaire-général, qui passe rapidement sur les exigences de l’effectif militaire, dit en propres termes : « On a souvent exprimé dans l’enquête le vœu de voir discontinuer ou du moins ralentir considérablement les travaux des villes, travaux que certaines personnes vont même jusqu’à considérer comme improductifs. » Encore un aveu précieux à recueillir. A côté de ces deux grandes réformes, les mesures de détail qu’on peut prendre pour remédier à la dépopulation des campagnes ont bien peu d’importance. Ainsi on a proposé d’assujettir au livret les ouvriers ruraux; mais ce n’est pas la première fois que