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flamand, cette Mater dolorosa, avec son costume qui est en partie d’une paysanne, en partie d’une béguine, sa coiffe blanche, sa cape et son long manteau bleus. C’est ainsi qu’elle se présente dans la Descente de croix d’Hemling. Comme elle pleure dans cet admirable tableau! toute l’eau de son corps est montée à ses yeux, et c’est un tel déluge qu’il semble que les larmes ne s’arrêteront jamais, tant elles coulent d’un flot vigoureux. Cette Vierge d’Hemling est bien l’expression la plus sincère et la plus naturelle de la douleur que jamais artiste ait peinte. C’est ainsi qu’elle apparaît dans l’Ensevelissement du Christ de Quentin Matsys, éplorée, désespérée, se séparant du cher cadavre avec déchirement, comme si par une illusion de l’amour maternel elle croyait posséder encore son fils tant qu’elle possède son corps mort. C’est ainsi qu’on la voit enfin dans la Mise au tombeau de Van Dyck et dans les nombreuses toiles où le noble artiste l’a montrée au pied de la croix avec saint Jean.

Enfin ce christianisme populaire éclate dans l’art flamand par l’importance-toute particulière qu’il a donnée aux personnages des bourreaux : dans ses toiles, comme dans les mystères naïfs du moyen âge, les bourreaux représentent toute laideur, toute férocité, toute bestialité. Ainsi que la compassion pour le Christ, cette haine est de nature toute physique ; la sensibilité irritée met dans son aversion une force égale à son amour. On ferait la plus hideuse collection de types de bestialité et de méchanceté avec les bourreaux de l’art flamand; contentons-nous de nommer ceux d’un seul ouvrage, les exécuteurs de la célèbre Elévation en croix de Rubens à Notre-Dame d’Anvers. Certes cette grande toile, œuvre de la jeunesse de Rubens, n’est pas une de celles où son génie se montre dans sa pleine originalité, et, placée comme elle l’est à côté de la Descente de croix, on peut mesurer la distance qui la sépare des toiles de la maturité du peintre ; mais il est au moins une qualité par laquelle elle peut lutter avec ses plus grands chefs-d’œuvre, la furie du mouvement. Avec quelle vigueur tous ces goujats poussent la croix pour la planter droite! quel entrain ils mettent dans leur horrible besogne! C’est la réalité même dans toute sa brutalité; leurs muscles font saillie à croire qu’ils vont éclater, et l’on entend distinctement le hein ! qui s’échappe des poitrines de ces rustres pour aider leur robuste effort. Rubens avait trop de génie pour faire de ses bourreaux des caricatures grimaçantes à la façon d’un Jordaens ou de tel autre; mais il a fait mieux, car il en a fait la plus franche expression de la férocité humaine.

Ce n’est pas la beauté qui est le fruit naturel du sentiment que nous venons de décrire, c’est le pathétique : aussi le trait caracté-