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de l’Orient, devinée deux cents ans passés avant nos modernes artistes, qui ont considéré cette couleur locale comme leur conquête et l’Orient comme le domaine qu’ils avaient découvert, ce qui par parenthèse est fait pour nous rendre modestes; puis au-dessus de cette couleur locale extérieure et matérielle il y a la couleur locale intrinsèque et morale : toute la sagesse, toute la gravité sentencieuse, toute la révérence religieuse et aussi toute la sensualité de l’Orient sont empreintes sur les visages des divers personnages de cette grande scène. Quand vous avez énuméré et épuisé ces qualités déjà si hautes, voici bien autre chose qui se révèle à votre admiration. Tranquillement, et déguisant, autant qu’il l’a pu, sa pensée sous la pompe extérieure du spectacle, Rubens a raconté dans cette scène de l’adoration de l’enfant divin toute la fortune future et toutes les destinées ultérieures du christianisme. Ces trois mages représentent les trois castes de la race humaine qui tour à tour viendront à Jésus, et qui viendront à lui précisément dans l’attitude où les a représentés Rubens. Le premier et le seul qui adore réellement est le mage agenouillé aux pieds de l’enfant. Celui-là est le mage de race sacerdotale, le mage selon l’ordre de Melchisédech ; on n’en peut douter à son blanc surplis et au petit enfant de chœur dissimulé sous la forme d’un page qui l’accompagne. Le second, celui qui se tient debout à l’angle du tableau dans une attitude si redoutable, recouvert d’un si beau manteau de brocart rouge, c’est le mage de race politique, le mage selon l’ordre de Nemrod et de César, le représentant de la puissance et de la force. Aristocratiquement il se tient à l’écart; son terrible visage, où se lit l’habitude du commandement, ne dit rien de bon; visiblement il se passe en son âme un terrible combat où l’orgueil joue le premier rôle. L’adoration lui coûte et lui coûtera, on le voit. Quoi! lui, Cyrus, Nabuchodonosor, être appelé de si loin par une force mystérieuse pour adorer cette créature? Quoi ! une destinée merveilleuse représentée par l’étoile conductrice plane sur cet enfant enveloppé dans ces humbles langes? Quoi! cette image de la faiblesse sera plus puissante que la puissance, et les rois devront rendre la justice en son nom? Il y viendra cependant, car sa science magique lui apprend qu’irrésistibles sont les ordres du destin; mais il y viendra le plus tard possible, et en attendant il rechigne et fronce son sévère sourcil. Le troisième mage est un jeune rajah indien ou un chef abyssin élégamment vêtu de vert, coiffé d’un joli turban surmonté d’une aigrette, au teint de moricaud, aux lèvres sensuelles, au visage réjoui, avec un petit ventre tout rondelet bien dessiné par son justaucorps. Celui-là ne se prosterne pas comme le premier, il ne se tient pas à l’écart comme le second; que fait-il, le