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mens s’agitèrent, d’autres, appelés au scrutin, exhalèrent leur humeur par un certain nombre de bulletins factieux.

Comment finit ce premier feu, chacun le sait. Des décrets y pourvurent avec des agens spéciaux créés à l’appui, inspecteurs-généraux de police qui n’ont duré qu’un jour, commissaires de police de canton qui disparaissent peu à peu faute de savoir à quoi et à qui se prendre. Malgré cet appareil d’intimidation, il se fit bien encore çà et là quelque bruit autour des urnes électorales : apostrophes véhémentes contre des maires trop zélés, pugilat et bris de matériel dans les cas les plus graves; mais de promptes exécutions y mettaient bon ordre, et, comme on dit, force restait à la loi. Ce mode d’apaisement a duré jusqu’au silence des opinions dissonantes; s’il en persistait de telles, elles devaient se résigner au huis clos. Cela s’appelait administrer le pays à l’extraordinaire, et tout y aidait, l’effacement de la tribune, la condition précaire de la presse, un terre-à-terre absolu avec une seule volonté debout. A tout prendre, rien de plus commode. Un siège était-il vacant au corps législatif, dans les délais voulus un nom arrivait à la préfecture par la poste ou par le télégraphe indistinctement. Quelquefois la personne accompagnait le nom, pure formalité. À ce nom ne se rattachait ni un talent connu, ni une situation considérable, ni un titre, ni une notoriété quelconque; souvent même l’homme était étranger à la localité. Peu importait, il valait assez dès qu’il était désigné. La mise en scène n’exigeait pas d’ailleurs de grands efforts : les acteurs y étaient formés, maires, gardes champêtres, gendarmes. Les gendarmes portaient les bulletins du chef-lieu à la commune, le garde champêtre les distribuait à domicile avec le mot d’ordre, le maire les recueillait et les dépouillait. Immanquablement le nom officiel passait à des majorités imposantes, et ainsi partout. Autant de candidats patronnés, autant de députés. C’était jouer à coup sûr.

Ce mécanisme n’avait qu’un défaut, c’était d’être trop parfait; le moindre souffle en devait troubler l’équilibre. On peut le voir; il réussit encore, mais il a des irrégularités. A quoi cela tient-il? Cela tient à ce qu’on a desserré l’écrou qui pesait sur la tribune et sur la presse : une détente s’en est suivie, et après les villes les campagnes en profitent. Bon gré, mal gré, il faut maintenant les administrer à l’ordinaire, les gagner au lieu de les intimider, compter avec elles. Ce souci ne date pas d’hier; il remonte à l’année 1863, où vingt-quatre circonscriptions rurales rompirent leur ban par des choix significatifs, et donnèrent, à la consternation de leurs magistrats, les premiers exemples de l’indiscipline. Ce fut comme une explosion dans tous les sens, au nord, au midi, à l’est, à l’ouest, au centre surtout, d’autant plus sensible qu’elle était inattendue. De-