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encore pour s’en servir. A quoi bon d’ailleurs, et quel intérêt y a-t-on? Volontiers on le ferait sournoisement, mais que d’yeux ouverts et quels yeux de lynx! Tout bien réfléchi, on aime mieux demeurer en bons termes avec l’autorité; quatre fois sur cinq, c’est ainsi que les choses se passent. Les défections seront donc lentes et successives : par un temps de politique émoussée, qu’exiger de plus? C’est quelque chose qu’elles soient possibles.

Qui a donné aux circonscriptions réfractaires le courage d’en venir à leurs fins? Quels sentimens les animaient? Pourquoi celles-ci plutôt que celles-là? Questions délicates. Il y a eu sans doute et dans quelques cas des motifs secondaires, l’influence d’un nom, d’une grande existence locale, ou bien un effort personnel accompagné de sacrifices ; mais le vrai, le principal mobile, celui qui a influé sur les uns plutôt que sur les autres, c’est la trempe des opinions. Les opinions vives, dans toutes leurs nuances, ont montré le chemin aux opinions modérées. Ce long engourdissement leur pesait, elles en sont sorties à leur heure. Cela est si vrai qu’à chaque circonscription rurale qui de 1863 à 1868 a glissé des mains de l’administration correspond en 1849 une députation homogène et ardente. C’est notamment le Jura, ce sont les Vosges, le Bas-Rhin et la Loire. On peut consulter les listes de 1849; à quelques unité près, la couleur des députations est la même, une couleur tranchée. Pour les Côtes-du-Nord et la Loire-Inférieure, le fait se reproduit; c’est une autre couleur, tranchée également. Enfin dans le Nord, dans l’Aisne, dans la Côte-d’Or et quelques départemens du centre prévaut une troisième couleur, non moins tranchée que les deux autres. Ce n’est pas à dire que cette symétrie soit restée intacte, et que les élus soient aujourd’hui encore le reflet exact des électeurs : il y a des compromis, des alliances, des combinaisons de suffrages; mais ces actes n’en gardent pas moins une signification et une intention communes : c’est de restituer à la représentation du pays son indépendance et sa dignité. Le dessein une fois pris, les populations l’ont mené à bien; elles y ont mis la constance et l’énergie qu’il fallait.

Devant ces assauts en règle, l’administration ne pouvait demeurer inactive ni indifférente. Ce qu’elle faisait en se jouant, il faut que désormais elle l’emporte de haute lutte. Le premier souci qu’on lui inflige est d’avoir à regarder de plus près aux choix qu’elle adopte. Faire réussir un candidat qui tombe sur un département comme un aérolithe sera une partie de plus en plus chanceuse, et à laquelle il sera bon de renoncer. Même réforme dans l’emploi des moyens d’influence. Il ne s’agit plus d’en user mollement; la consigne, à la veille des élections surtout, est de leur imprimer toute l’énergie dont ils sont susceptibles. Des chefs de service, cette consigne des-