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pas se guérir. Arrive-t-il à une enchère, il est pris de vertige et acquiert sans avoir de quoi payer. Comment s’en tire-t-il ? Par un emprunt souvent grossi jusqu’au montant du prix d’acquisition. Alors commence pour lui une gageure qui peut se prolonger toute sa vie. Le produit du champ adjugé couvre tout juste les intérêts de la créance; il arrive même que ce produit reste en-deçà, et qu’il faut sur d’autres ressources combler la différence. L’héroïque paysan n’en est point ébranlé; il en passera par les plus dures privations pour que le champ lui reste, et que le cadastre le maintienne à son nom. En est-il le maître ou l’esclave? Peu importe. Tant que ses forces le serviront, il fera honneur à ses engagemens, et ajoutera peut-être d’autres lots, tout aussi grevés, à ceux qu’il possède déjà. Il tient à ce que l’on dise de lui : « C’est un homme à l’aise, il a vingt arpens au soleil. » Au prix de quels embarras, les huissiers le savent. Enfin le moment arrive où il faut désarmer; survient une infirmité, ou la vieillesse, ou la mort. La liquidation commence, une liquidation judiciaire s’entend, où les procès s’engendrent, et qui laisse le plus net de l’actif entre les mains des hommes de loi.

Ces abus de la procédure s’appliquant à des infiniment petits, l’enquête les signale résolument dans un concert presque unanime de dépositions. Il n’est pas de localité d’où ce cri ne parte et qui n’y joigne sa demande de réforme. La communauté s’unit pour défendre ceux qui ne se défendent pas eux-mêmes, pour couvrir les faibles ou du moins pour ne pas les dépouiller. C’est bientôt dit qu’à tout prendre on reste dans le droit commun, et qu’un régime d’exception encouragerait le goût des parcelles, fatal à la reconstitution de la grande propriété. On oublie que, par le temps qui court et l’esprit qui règne, la grande propriété n’est véritablement garantie que par les petites, et que chaque parcelle qui trouve un acquéreur est un instrument ajouté à la sécurité commune. L’enquête ne pouvait donc qu’y insister; elle estime qu’au-dessous d’une certaine somme les contrats d’achat et de vente pourraient être ramenés à des formes plus sommaires, frappés de moindres droits, passibles de moindres taxes. Sur les droits de succession et de mutation, même dégrèvement, n’importent les sommes et les redevables. Les droits de succession, arrivés où ils sont et s’exerçant sur le passif comme sur l’actif, ressemblent à une exhérédation lorsque les biens sont engagés pour une grande partie de la valeur, comme c’est fréquemment le cas; quant aux droits de mutation, ils font obstacle par le taux qu’ils ont atteint à la circulation de la fortune mobilière, et pourraient être réduits de beaucoup sans que le fisc eût rien à y perdre; l’accroissement des transactions rétablirait promptement la balance. Ainsi marche cette enquête, donnant des conseils qui