Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/521

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
515
L’ESCLAVE À ROME.

moment où les mœurs s’adoucissent, où se préparent dans l’opinion les belles lois des Antonins, et, pour mettre quelque ordre dans ces recherches, suivons pas à pas l’esclave dans son passage à travers la famille depuis le moment où il y entre par la naissance ou l’achat jusqu’à celui où il en sort par l’affranchissement ou par la mort.

I.

Les esclaves que contenait une grande maison romaine provenaient de deux origines différentes : ou ils avaient été achetés, ou ils étaient nés dans la maison même d’un père et d’une mère esclaves. On appelait ces derniers vernæ, et on les estimait plus que les autres. Ce sont ceux que dans les inscriptions les maîtres traitent avec le plus d’égards et de tendresse. On les supposait attachés à la famille au sein de laquelle ils étaient nés. D’ailleurs ils n’avaient pas été flétris par l’humiliation de la vente publique, et c’était beaucoup. L’esclave acheté avait paru sur un marché, les pieds marqués de blanc, avec un écriteau au cou qui indiquait ses qualités et ses défauts ; on l’avait exposé sur des tréteaux, on l’avait fait sauter, tourner, marcher, courir, rire et parler. Celui qui était né dans la maison avait au moins échappé à cet examen ignominieux. Il semblait qu’il eût moins perdu de sa dignité d’homme, et qu’il dût être plus capable d’un noble sentiment. Aussi se montrait-il lui-même si fier de ce titre de verna qu’il le gardait quelquefois et le faisait inscrire sur son tombeau après qu’on l’avait affranchi.

Le nombre des esclaves que ces deux sources de la servitude, la naissance et l’achat, introduisaient ainsi à Rome devait être très considérable. Le Syrien ou le Numide que l’intendant d’un grand seigneur venait d’acheter dans la rue de Suburra ou près du temple de Castor pour être coureur ou cuisinier était sûr, en entrant dans le palais de son nouveau maître, de s’y trouver en nombreuse compagnie. Les moralistes se plaignent que dans les grandes maisons les serviteurs se comptent par milliers, et l’on ne peut pas les accuser ici d’exagérer, Tacite et Pline parlent comme eux. Dans la satire de Pétrone, Trimalcion, qui ne connaît pas la dixième partie des esclaves qu’il possède, se fait rendre compte tous les matins du nombre de ceux qui sont nés pendant la nuit sur ses domaines. Ce n’est pas là, comme on pourrait le croire, une scène de fantaisie, et l’histoire confirme le roman. Sénèque nous raconte à peu près la même chose d’un affranchi de Pompée. Cet affranchi avait, lui aussi, des légions d’esclaves, et, selon la coutume des bons généraux, qui se tiennent au courant du nombre de leurs soldats, un secrétaire