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L’ESCLAVE À ROME.

ailleurs, le pouvoir finit toujours par appartenir à l’intelligence ; en quelque rang que le sort l’ait mise, elle reprend sa place naturelle. Aussi rencontrons-nous dans presque toutes les familles romaines un esclave qui gouverne ; il a vite compris les faibles de son maître, et il s’en sert pour le dominer. Bientôt il dispose de la fortune, il règle les dépenses, il dirige les travaux, il force la femme et les enfans à plier sous sa volonté ; c’est lui qui mène la maison, et le malheureux qui l’a payé de ses deniers peut dire, comme un personnage de la comédie : « J’ai acheté la servitude. »

III.

Après m’être occupé des rapports de l’esclave et du maître, j’arrive aux relations des esclaves entre eux. Elles étaient bien plus compliquées qu’on n’est tenté de le croire. Il semble que, le maître ayant sur tous ses serviteurs les mêmes droits et des droits sans limites, ils devaient aussi être tous égaux, et que, dans cette situation infime où les plaçait la loi, il ne pouvait pas y avoir de degrés. Il y en avait pourtant, et de nombreux. Une hiérarchie très complexe conduisait du voisinage de la liberté aux dernières extrémités de la servitude. Certains esclaves exerçaient des fonctions plus relevées et jouissaient de plus de confiance et d’estime que les autres. C’étaient d’abord les fermiers et les intendans, dont j’ai déjà parlé. Au-dessous d’eux, il y avait place pour des distinctions infinies. Par exemple, les secrétaires et les trésoriers devaient être choisis avec plus de soin et traités avec plus d’égard ; on ne confie pas à tout le monde sa bourse et ses papiers. Cicéron dit que les huissiers et les jardiniers se regardaient aussi comme supérieurs à leurs camarades. Venait ensuite la foule des esclaves ordinaires, divisés en décuries, qui elles-mêmes, à ce qu’il semble, étaient rangées dans un certain ordre d’après l’importance de ceux qui les composaient. La dernière de toutes, selon Sénèque, contenait ces esclaves de rebut que le crieur public vend les premiers au marché, avant que les amateurs ne soient arrivés et que les enchères véritables ne commencent. Ce n’étaient pourtant pas les plus humbles, et il y avait encore un degré plus bas. Il arrivait parfois qu’un de ces intendans ou de ces trésoriers, qui à la longue avait acquis une certaine aisance, voulait se donner quelque repos. Il faisait ce qu’il voyait faire à son maître : il achetait un esclave soit pour son service particulier, soit pour faire à sa place les travaux pénibles de la maison. Il y avait donc à Rome des esclaves d’esclaves qu’on appelait vicarii. C’était le dernier échelon de la servitude ; c’est là aussi qu’elle devait être le plus lourde. On a remar-