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singulièrement la négociation, et à force de raisonnemens il persuada au saint-père de se calmer un peu, promettant de revenir dans une heure. Au bout de ce temps, M. de Chabrol trouva de nouveau Pie VII dans une agitation extrême. « Il me dit qu’il avait prévariqué, qu’il y avait dans la dernière phrase où il était question du gouvernement de l’église une tache d’hérésie, qu’il aimerait cent fois mieux la mort, qu’il n’avait pas accédé à ce dernier article, qu’il était nécessaire que j’expédiasse un courrier aux évêques pour le faire supprimer… Pour tout le reste, il y tiendrait ; .. mais cette suppression était absolument nécessaire. Il ferait plutôt un éclat pour faire connaître ses intentions[1]… » Peu à peu M. de Chabrol parvint à tranquilliser son malheureux interlocuteur, surtout en lui donnant l’assurance qu’il allait écrire aux évêques. Le lendemain, le pape n’était pas moins nerveux. Il assura M. de Chabrol « qu’il n’avait pas du tout dormi la nuit précédente, et qu’il en avait en le lendemain la tête très fatiguée, qu’il était dans l’état d’un homme à moitié ivre. Il tenait beaucoup à ce que l’on sût bien positivement qu’il avait considéré la note qui lui avait été remise non comme un traité ou comme un préliminaire de traité, mais comme une sorte d’ébauche… Le docteur Porta s’aperçoit que les inquiétudes du pape lui reviennent souvent parce qu’il médite profondément et prend alors un regard fixe. Il est porté à craindre quelque affection hypocondriaque. Il espère toutefois qu’elle n’aura pas lieu. » Malheureusement ces prévisions du docteur Porta ne se vérifièrent point. Quelques jours plus tard, il était obligé de constater « que le pouls du pape était inégal, que son appétit diminuait. Il observait que le pape coupait parfois la conversation pour rester uniquement attentif à une même pensée, puis sortait tout d’un coup de cette absorption comme d’un rêve. Enfin il remarquait tous les signes d’une affection hypocondriaque qui pourrait tendre à altérer les facultés du corps et de l’intelligence[2]. »

De son côté, M. de Chabrol avait remarqué à peu près les mêmes symptômes. Le 23 mai, il s’était rendu chez le saint-père ; mais tout ce qu’il avait essayé de lui dire n’avait paru produire aucune impression. « Le pape m’a dit qu’il ne se ferait certainement rien, qu’il ne concevait pas comment il était convenu de ces divers articles, que cela avait été de sa part une folie, qu’il fallait qu’il fût à moitié ivre… J’ai parlé en sortant de chez lui à son médecin, qui m’a dit qu’il le trouvait tantôt tranquille et tantôt tourmenté comme je venais de le voir, et qu’il employait quelques remèdes pour lui rendre le calme[3]. »

  1. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 22 mai 1811.
  2. Ibid., 26 mai 1811.
  3. Ibid., 23 mai 1811.