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l’apparition de ces bandes victorieuses, les assiégés capitulèrent, demandant à sortir librement. On leur accorda la vie sauve à la condition délivrer tous leurs chevaux arabes, toutes leurs armes, toutes leurs richesses, tous ces équipemens où étincelaient l’argent et l’or, après quoi, sans perdre de temps, avec cette armée chaque jour plus nombreuse et plus forte, Kara-George revint sur Belgrade. La Serbie entière était debout. De la Save au Danube, ses enfans marchaient triomphans. On allait frapper le coup décisif, on allait couronner par la prise de Belgrade cette campagne qui avait demandé si peu de jours et coûté si peu d’hommes.

Un incident singulier vint précipiter la fin de cette première lutte et en même temps, compliquer la situation pour l’avenir. Les conseillers de Sélim, persuadés, que c’était là une révolte contre les dahis et rien de plus, n’étaient pas mécontens de voir châtier cette milice arrogante. Les Serbes, sans le savoir, ne devenaient-ils pas les auxiliaires du sultan réformateur ? Mettre à profit l’insurrection pour faire plier les janissaires, montrer des sympathies aux Serbes, les aider même, se joindre à eux, par là les ramener plus facilement et rétablir l’ordre, tel était le plan très bien conçu du grand-vizir. Quelques knèzes de Serbie se trouvaient alors à Constantinople. on leur parla dans ce sens. C’étaient ceux qui étaient venus avant l’insurrection protester contre les violences des dahis ; ignorant le caractère que la guerre avait pris et les espérances qui en pouvaient naître, ils accueillirent ce langage avec joie. L’un d’eux, Jean Raschkovitch, dut être bien heureux, et encore plus étonné lorsque le divan le chargea d’acheter des munitions à Constantinople pour ses frères de Serbie. En même temps le grand-vizir confiait au pacha de Bosnie la direction des événemens ; c’était à lui de secourir les Serbes, d’en finir avec, les dahis, et de rétablir la paix. Békir-Pacha, tel était le nom du pacha de Bosnie, entra aussitôt sur le territoire serbe avec 3,000 hommes. Les Serbes le reçurent avec honneur ; des knèzes furent envoyés à sa rencontre, et, quand il arriva près de Belgrade, les trois chefs des assiégeans, Kara-George, Nenadovitch et Milenko, le firent camper au milieu d’eux.

Si les knèzes envoyés à Constantinople pour implorer la justice du sultan furent étonnés d’avoir si vite et si complètement réussi, combien plus grande dut être la surprise de Békir-Pacha ! Ces malheureux qu’il venait secourir, c’était un peuple triomphant. Avoir ces bannières déployées, ces armes étincelantes, ces riches équipemens, ces chevaux d’Arabie avec leurs selles à clous d’or, qui est reconnu ; les porchers de la Schoumadia ? Surtout, à voir ces fiers visages où rayonnait la flamme d’une vie nouvelle, qui eût