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convention particulière ; mais la vallée de la Matschva leur est ouverte. Jacob Nenadovitch y a construit des retranchemens. Au centre enfin, Kara-George défend la Schoumadia, prêt à se porter sur tous les points menacés.

La première attaque eut lieu du côté de la Bosnie au printemps de l’année 1806. Le début de la campagne fut favorable aux Serbes. Osman-Dshora, ayant réussi à passer la Drina, se laissa surprendre par les insurgés et périt avec tous les siens. Le vieux Méhémet-Kapetan était un adversaire plus redoutable ; mais, quand il fit invasion dans la vallée de la Matschva, il trouva en face de lui un des plus énergiques soldats de l’insurrection, le haïdouk Tschoupitch, qui l’obligea de battre en retraite. Ce n’étaient là pourtant que des escarmouches d’avant-garde. La vraie campagne commença aux premiers jours de l’été. Le vizir de Bosnie vendait de lancer sur la Koloubara une armée de 30,000 hommes dont il avait confié le commandement au jeune séraskier Kulin-Kapetan et au vieux Méhémet. C’était un terrible homme que ce jeune séraskier, sans foi et sans pitié. Il se jette sur les districts qui sont demeurés soumis, et, violant les promesses jurées, il brûle les villages, massacre les knèzes, emmène en captivité les enfans et les femmes. Est-ce la terreur inspirée par ces violences qui fit perdre la tête à Jacob Nenadovitch ? S’il n’était pas en force derrière ses retranchemens. de la Matschva pour tenir tête aux Bosniaques, il pouvait se retirer, gagner les montagnes, et par ces forêts, par ces défilés, par ces passages propices que tous les Serbes connaissaient, aller rejoindre l’armée de la Schoumadia. Au lieu de cela, il essaie de négocier avec l’ennemi. Son neveu, le prota Nenadovitch, et le vaillant Tschoupitch vont trouver le séraskier dans son camp. Celui-ci, pour première condition, exige que les retranchemens des Serbes soient immédiatement détruits, et, comme les parlementaires n’y peuvent consentir, il les retient prisonniers. Cette fausse démarche produisit l’effet d’une déroute. Quoi ! disaient les paysans de la Koloubara, fallait-il donc soulever le pays pour lâcher pied si vite ? Puisque les chefs n’ont pas foi en eux-mêmes, puisqu’ils prennent si mal leurs dispositions, puisqu’ils ne sont pas en mesure de se soutenir les uns les autres, que ne nous laissaient-ils mourir dans nos villages, chacun défendant son toit et sa famille ? Et l’armée de Nenadovitch se débande, comme si le lien qui avait réuni tous ces hommes était subitement brisé. Paysans, laboureurs, porchers, ils s’en vont par troupes regagner le foyer de leur tribu, les uns saisis de terreur, les autres irrites contre leurs chefs, tous aimant mieux mourir dans des combats isolés que de se rendre en masse. Il y a encore une certaine grandeur dans cette débâcle. L’enthousiasme les avait rassemblés, le désespoir les disperse.