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Milosch prisonnier, le ramène à Belgrade pour y être jugé comme rebelle.

L’affaire fut conduite avec une extrême douceur. Milosch était jeune, il n’était pas aussi puissant que les Nenadovitch et les Véliko, les Milenko et les Dobrinjatz, il s’était couvert de gloire en plus d’une rencontre ; pourquoi ne pas ménager un tel homme et se l’attacher par la reconnaissance ? D’ailleurs il paraît bien que Milosch, avec ses qualités et ses défauts, avait déjà inspiré la plus ardente sympathie au peuple serbe. C’est lui-même qui le déclara en répondant aux questions de ses juges. On lui demandait s’il reconnaissait comme son œuvre la lettre adressée aux hospodars : « Oui, dit-il, c’est moi qui l’ai écrite, et je sais que Mladen est devant moi, et je sais aussi que vous ne me condamnerez point, parce que le peuple m’aime. » Nous devons ces détails à un écrivain slave, M. Fedor Possart, et il faut le remercier d’avoir noté un épisode qui jette dès le début un jour très vif sur toute l’histoire de Milosch[1]. S’il n’avait pas à cette date la puissance matérielle qui venait d’être brisée aux mains des hospodars, il avait cette force qu’on ne détruit guère, la sympathie nationale. Ce défi, vous ne me condamnerez pas, nul n’osa le relever. Il le soutint pourtant jusqu’au bout avec une obstination hautaine. Mladen lui suggérait des excuses ; on voulait qu’il désavouât cette missive, qu’il en rejetât la faute sur un secrétaire infidèle, qu’il accusât au moins de sa rébellion tel ou tel personnage déjà puni comme chef de complot. « Non, disait-il, c’est moi qui ai tout fait. » Mladen se contenta de lui adresser une réprimande et des exhortations. Le langage de l’habile orateur parut le toucher, il promit de rester toujours fidèle à Kara-George et au sénat. Étrange apparition, prologue bizarre des tragédies qui rempliront l’histoire de Serbie au XIXe siècle ! Comment ne pas rappeler que ces deux hommes placés ici face à face au moment où se fonde la principauté y seront un jour les chefs de deux dynasties rivales ? Comment ne pas dire d’avance que Milosch devra répondre devant l’histoire du meurtre de Kara-George, et que le fils de Kara-George, après avoir régné seize ans, sera cité en justice pour avoir soudoyé les assassins du fils de Milosch ?

Écartons pourtant ces visions sanglantes. Nous sommes en 1811, la principauté de Serbie vient d’affermir ses bases. Après tant de luttes et tant de périls, quand les dissensions intestines étaient aussi menaçantes pour elle que les agressions extérieures, l’unité de commandement lui assure désormais les moyens de vivre et de grandir. Tous les adversaires du vainqueur de Mischar sont chassés

  1. Das Leben des fürsten Milosch und seine Kriege. Nach serbischen Originalquellen bearbeilet, von P. A, Fedor Constantin Possart, Stuttgart, 1838.