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Fieka fut presque aussitôt devant nous. Sa petite personne semblait au premier coup d’œil un peu frêle. ; mais la fraîcheur de ses joues attestait une santé robuste, et dans ses yeux, en ce moment attristés, on devinait qu’un rire joyeux pouvait resplendir, les circonstances venant à changer. En tout se révélait une fillette vaillante, de volonté ferme et d’intentions pures. Sur son bonnet, pour le préserver de la pluie, elle avait noué un mouchoir de couleur, et son petit jupon rayé de vert lui allait si bien, lui donnait si bonne tournure, que l’amtshauptmann, émerveillé, se tournant vers sa femme : — Eh bien ! Neiting, que vous en semble ? lui demanda-t-il avec une sorte d’enthousiasme.

Herr amtshauptmann lui dit la belle enfant, ses révérences une fois parachevées, on m’a toujours dit merveille de votre bonté ; c’est pourquoi j’ai osé vous venir trouver. Mon père est innocent, je vous l’affirme.

— Je le sais, mon enfant, je le sais comme vous.

— Cela étant, on va, je n’en doute point, le remettre en liberté.

— Hum !... oui, sans doute,.. Du moins ce serait faire justice ;... mais en temps de guerre...

— N’importe, je ne crains rien, interrompit Fieka très vivement. On ne le tiendra pas longtemps prisonnier : il est âgé. Il pourrait être malade ou victime de quelque accident. C’est pourquoi je suis décidée à l’aller trouver et à demeurer auprès de lui.

— Un instant, ma petite ; vous êtes bien jeune pour courir le monde toute seule. Les soldats français, pas plus que les nôtres, ne sont de petits saints, et votre père ne serait peut-être pas très flatté de vous savoir parmi eux.

— Je n’irai point seule, herr amtshauptmann. Mon cousin Heinrich, le fils de Joseph Voss, consent à m’accompagner, et si seulement vous nous donniez un mot d’écrit, une passe, comme on dit, il ne nous arriverait bien sûr aucun mal.

— Une passe ? reprit le vieux magistrat avec un hochement de tête fort expressif. Ils auraient vraiment grand respect pour la signature d’un amtshauptmann de Stemhagen !.. Que pensez-vous, chère amie, d’une recommandation au colonel von Toll ? reprit-il, s’adressant à ma mère... Voyons, mon enfant, voyons ce cousin qui, dites-vous, consent à vous escorter ?

On fit monter Heinrich Voss. C’était un beau garçon, large d’épaules, étroit des hanches, l’œil bleu, les cheveux blonds, un de ces robustes paysans que l’on peut voir manier la faux ou la pioche de six heures du matin à neuf heures du soir sans fatigue. Sa physionomie franche et ouverte dissipa les derniers doutes du prudent magistrat. Ma mère d’ailleurs insistait pour qu’on ne lui fit pas