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mètres au-delà de Demzin un vieillard occupé à étêter des saules sur le bord de la route, cet homme leur déclara que depuis six heures du matin pas un Français ne s’était montré de ce côté.

Que faire, la piste une fois perdue ? Le bailli se grattait le front, et Friedrich promenait ses regards dans la campagne. — Il fait grand froid, dit-il au bailli. Nous délibérerons plus à l’aise, ce me semble, au pied de ce four banal[1].

— J’ai fait une belle sottise de courir après ce Français par un temps pareil, reprit le schult une fois installé.

— Beau-père, ne vous dérangez pas, rien n’est perdu, répliqua Friedrich, toujours goguenard. Allons, bailli, ne soubresautez pas ainsi ! Prenez vos informations, consultez le meunier Voss, qui me connaît bien, et vous me donnerez votre Hanchen.

— Trêve de fanfaronnades ! répondit l’autre. Vous êtes un beau parleur, mon vaillant Prussien ; mais vos paroles dorées ne feront pas sortir un chien du poêle.

Cette locution, proverbiale dans le Mecklembourg, fit sourire l’ancien soldat du duc de Brunswick. — C’est ce qu’il faudra voir, répondit-il soulignant ses mots.

— En attendant, je m’en vais, recommença le bailli. Vous attraperez tout seul votre Français.

— Oh !... je le tiens, dit Friedrich avec une confiance surprenante.

— Menteur !...

— Menteur, dites-vous ?... Eh bien ! si je vous sers ce Français d’ici à trois minutes, me donnerez-vous Hanchen en mariage ?... Voyons, topez-vous ?

— Soit ! je tope, répliqua Besserdich,.. ne fût-ce que pour vous prendre en flagrant délit de bravades.

Quand ils eurent frappé dans la main l’un de l’autre, Friedrich, avec un large sourire, se pencha vers l’unique ouverture du four : — Monsieur !... monsieur !... criait-il, allons donc !.. » allons donc !... Ici !

Et qui se montra presque aussitôt, rampant à quatre pattes ? Le chasseur demandé.

— Pari perdu ! cria Friedrich au bailli stupéfait ; puis, se rappelant la tradition guerrière dont il avait naguère entretenu la Westphalen, il se mit à couper les boutons qui maintenaient les inex-

  1. Les villages du Mecklembourg n’ont pas de boulangeries, mais chacun possède un ou deux fours dont l’usage appartient à tous les habitans de la commune. Ces fours, construits en plein champ, sont garnis à l’intérieur de grosses pierres, et la toiture est faite de gazons. Ils sont de taille à recevoir et à cacher un homme. De plus, n’ayant pas d’autre issue que la porte, la chaleur s’y conserve longtemps.