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versa aux assistans sous le contrôle et avec les conseils du valet de chambre ; il les suivit si ponctuellement et avec tant d’adresse qu’il répandit un grand verre de l’ardente liqueur dans le giron sacré de la mamzelle. Fieka Voss était assise à côté de ma bonne mère, qui de temps à autre passait une main caressante sur les joues veloutées de la jeune fille, et comme je m’étais, un peu jaloux, rapproché d’elle : — Fritz, me dit cette excellente femme, saurez-vous m’aimer un jour comme Fieka aime son père ?

Félicité à divers titres par chacun, l’oncle Herse triomphait avec une radieuse sérénité. A peine avait-il pris place au centre de la table, comme héros de la fête, que la tante Herse, toute vêtue de soie noire et tenant en main une couronne de laurier vert, vint la fixer avec un ruban de velours ponceau sur la tête de son gracieux époux. Depuis lors je n’ai jamais rencontré une effigie de Jules César sans qu’elle ne m’ait rappelé le noble profil du rathsherr. Encore préféré-je ce dernier, comme plus vivant et plus humain que l’autre.

Jamais la rathhaus n’avait vu pareil tumulte et pareille gaîté.

A son réveil le lendemain, maître Voss trouva un certain désarroi dans ses souvenirs. — Femme, dit-il à la meunière, ne me suis-je pas querellé hier soir avec mon neveu ?

— Non, mon ami, répondit-elle ; vous l’embrassiez au contraire en l’appelant mon fils ! Vous promîtes de plus à Friedrich de lui donner une bonne somme pour l’établir aussitôt que vous seriez riche, ce qui ne devait pas tarder, disiez-vous.

— Ah çà ! mais j’étais donc complètement abruti ?

— Je vous en laisse juge, mon très cher.

Sur ce entra le garçon meunier. — Salut, patronne... Bonjour, notre maître. Je venais simplement vous dire qu’après y avoir réfléchi j’aime mieux laisser dans vos mains jusqu’à nouvel ordre le petit capital que vous avez généreusement promis de me remettre. Nous nous entendrons pour les intérêts. En revanche vous me rendriez service en me laissant vous quitter à Pâques... Oh ! je sais que je suis engagé pour plus de temps ; mais je voudrais me marier.

— Vous marier ! s’écrièrent en même temps les deux époux.

— Pourquoi donc pas ? Je voudrais faire ma femme de Hanchen Besserdich, la fille du bailli, celle qui est en service au château. Si, comme je le pense, Heinrich épouse notre Fieka, et si les deux beaux-pères n’y trouvent rien à redire, les deux noces pourraient se faire le même jour.

Le meunier bondit à ces mots, et, saisissant par la tige une des deux grosses bottes qu’il n’avait point encore chaussées : — Ah !