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un chemin sec, les escouades se débandèrent, et nos soldats improvisés marchèrent sur les talons l’un de l’autre à l’instar des oies dans un champ d’orge, puis à l’auberge du Hibou la colonne fit halte pour attendre l’amtshauptmann. Trop âgé pour marcher à pied, cavalier trop novice pour se hasarder sur la monture la plus pacifique, il volait au combat dans sa longue carriole d’osier, une grande épée à la ceinture. De nombreux vivat l’accueillirent, auxquels il répondit par cette harangue à jamais mémorable : — « Enfans ! vous n’êtes point des soldats, et vous allez commettre bévues sur bévues. En rira, ma foi, qui voudra ! Nous n’en aurons pas moins fait notre devoir, lequel est de montrer aux Français que nous sommes à notre poste. Je voudrais m’entendre mieux aux choses de guerre ; mais je vous trouverai, si besoin est, quelque chef plus expérimenté que je ne le suis. Herr Droz, tenez-vous près de moi, et, si l’ennemi paraît, dites-moi ce que j’aurai à faire. On verra si je boude ! »

— Hourrah ! crièrent nos gens, qui se remirent en marche, la cavalerie en avant, pour reconnaître le pays. Dans ses rangs, deux hommes, pas plus, avaient des pistolets d’arçon, savoir : l’inspecteur Bräsig et le greffier municipal d’Ivenack. Ils tiraient de cinq minutes en cinq minutes, probablement pour faire peur aux Français, et ce fut ainsi qu’on atteignit Ankershagen, où on ne trouva pas l’ombre d’un soldat étranger, sur quoi l’amtshauptmann reprit la parole. — Enfans ! disait-il, c’est assez pour une journée. En repartant tout de suite, nous serons chez nous avant la nuit...

L’idée était bonne, et fut jugée telle. — Par file à droite ! commanda le capitaine Grischow, et, sauf une demi-compagnie de piquiers, plus deux tirailleurs, qui s’attardèrent dans un cabaret de Kittendorf, — où du reste ils firent merveille, — le mouvement de retraite s’exécuta selon toutes les règles. Cependant l’honnête Stahl, un peu las, se rapprocha de la voiture où se prélassait l’amtshauptmann, et, n’osant y demander place pour lui-même, sollicita simplement l’autorisation d’y déposer sa pique, dont il était singulièrement embarrassé. — A votre aise, répondit l’obligeant magistrat ; mais alors arrivèrent Deichert, puis Bank, puis une douzaine d’autres indiscrets avec la même requête, et la carriole d’osier, hérissée de pointes, finit par ressembler à ces chars armés de faux dont il est si souvent question dans le récit des guerres antiques.

Au retour de cette expédition, Friedrich fut mandé au schloss,

— Mon garçon, lui dit l’amtshauptmann, c’est bien vous, ce me semble, qui voulez épouser notre Hanchen ?

— Pas que je sache, répondit l’autre.

— Vous êtes cependant bien Friedrich Schult, le garçon meunier de maître Voss ?