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gouvernement libre, à la condition de ratifier d’abord toutes les volontés du congrès. On conçoit que sous un pareil régime les radicaux n’eussent rien à craindre des nouveaux gouvernemens des états du sud, et qu’ils fussent pressés de les rétablir pour les faire entrer en ligne de compte dans le grand combat qu’ils allaient livrer.

Aussi redoublaient-ils d’efforts pour emporter d’assaut les premières élections des assemblées constituantes. Dans plusieurs états tels que l’Alabama, le Mississipi, la Louisiane, la Caroline du sud, la population noire était si nombreuse, et il y avait tant de citoyens blancs exclus du suffrage, que les républicains radicaux ne pouvaient point douter de leur succès. A la Nouvelle-Orléans par exemple, on ne trouvait guère qu’un électeur blanc contre deux électeurs noirs ; mais dans la Géorgie, dans la Caroline du nord, dans la Virginie, la disproportion n’était pas la même, et la victoire des républicains n’était pas tout à fait aussi certaine. Vingt orateurs noirs envoyés par le comité central de Washington couraient partout, excitant leurs frères : ils s’adressaient même aux petits blancs, qu’ils essayaient de gagner par toute sorte de promesses extravagantes, telles que le partage des terres, la suppression des impôts, la répudiation de toutes les dettes publiques. Les noirs se rassemblaient en armes, et menaçaient de chasser les blancs du scrutin. Les démocrates venaient de subir un double échec dans la Virginie et dans la Caroline du nord ; ils se disposaient presque partout à abandonner une partie trop inégale, et leurs candidats découragés allaient se retirer sans combat.

La situation des hommes du sud était alors extrêmement cruelle. Depuis bientôt trois ans que la guerre civile était finie et que leur pays était en révolution permanente, ils n’avaient pas goûté encore un seul instant de repos. Depuis trois ans que la paix était rétablie, ils n’avaient pas eu à essayer moins de trois ou quatre systèmes de reconstruction et autant de formes de gouvernement, toutes improvisées et emportées en quelques jours au gré des boutades du président ou des caprices souverains du congrès. Ballottés entre ces deux puissances hostiles qui se les disputaient comme une proie, ils avaient souffert plus que personne de leurs conflits. L’anarchie entretenue par ces disputes éternelles, les haines de races, aigries à plaisir par les factions qui en tiraient parti, la misère, la famine, tous ces fléaux de la guerre civile prolongés pendant trois ans, leur avaient laissé une telle fatigue qu’ils se résignaient presque à abandonner toutes leurs anciennes prétentions en échange d’un gouvernement qui leur assurât une paix véritable. Aussi avaient-ils accueilli presque avec joie ces lois rigoureuses du congrès qui, assujettissant les états du sud à cinq proconsuls militaires, avaient au moins l’avantage de les soumettre à une autorité régulière et