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lendemain, le général Thomas vint donner aux employés du ministère l’ordre de ne plus obéir qu’à lui seul et adresser une dernière fois à son rival des sommations qui ne furent pas mieux accueillies. Cependant plusieurs feuilles radicales racontaient d’une façon dramatique les complots du tyran Johnson et les entreprises brutales du féroce exécuteur de ses volontés ; un journal illustré publiait même une gravure qui représentait M. Stanton assis dans son cabinet la nuit de la veillée des armes, un pistolet à la main, et prêt à vendre chèrement sa vie.

Les desseins du président avaient-ils changé ? S’était-il imaginé qu’il pourrait s’emparer aisément des bureaux de la guerre, et reculait-il à présent devant la résistance vigoureuse du ministre ? Cela n’était point vraisemblable, car il persistait plus que jamais dans la prétention de l’évincer. Ne voulait-il donc, comme il l’affirmait lui-même, que soumettre l’affaire à la justice et faire décider par la cour suprême la question du tenure of office bill. Ce n’était pas non plus très probable, puisque l’action de la cour suprême était désormais embarrassée par une des récentes lois du congrès. M. Johnson enfin ne s’obstinait-il que pour obliger la chambre des représentans à le traduire devant le sénat, et pour défier celui-ci de le condamner ? Les radicaux le comprirent ainsi, et crurent le moment venu de l’attaquer. Le 24 février, la chambre le décréta d’accusation par un vote de 126 voix contre 47. Cette fois les républicains modérés n’hésitèrent pas plus que les radicaux.

Nous ne suivrons pas l’accusation à travers tous les détails de la procédure compliquée à laquelle elle donna lieu. On sait d’ailleurs quelles sont les règles établies en pareils cas par la constitution des États-Unis : les procès d’impeachment intentés au président doivent être jugés par le sénat, siégeant en qualité de haute cour de justice, sous la présidence du chef de la cour suprême. La chambre des représentans, qui se porte accusatrice, se fait représenter à la barre du sénat par un certain nombre de délégués chargés de soutenir l’accusation. La condamnation ne peut être prononcée qu’à la majorité des deux tiers. Personne ne songeait à désobéir à ces règles générales. Cependant, comme c’était la première fois que l’impeachment était mis en usage, et qu’il n’y avait encore aucun précédent auquel ont pût conformer la procédure, l’organisation de la haute cour donna lieu tout d’abord à une foule de contestations. Les radicaux, qui se défiaient de M. Chase depuis leurs démêlés avec la cour suprême, et qui pourtant se voyaient obligés de subir sa présidence, affirmaient que la constitution ne lui donnait pas le droit de prendre part au jugement final, et ne lui attribuait absolument que la direction des débats. Les démocrates répondaient que, s’il fallait priver quelqu’un du droit de