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papier-monnaie n’a pas cessé d’avoir ses partisans. S’il faut en croire ces obstinés utopistes, le malaise qui se fait sentir aux États-Unis a pour cause principale la présence de l’or sur le marché. Le papier s’imaginent-ils, vaut au moins autant que l’or, et c’est la spéculation toute seule qui l’empêche de monter à son taux naturel. Si l’industrie souffre et si le commerce languit, ils attribuent tout le mal à l’insuffisance des moyens d’échange, au taux actuel du papier-monnaie. « Ce taux, disent-ils, est factice ; c’est la concurrence de l’or qui le déprécie. Au lieu de racheter le papier-monnaie, il faut au contraire en émettre davantage, et exiler l’or du marché national en le remplaçant par du papier dans tous les paiemens. » C’est par cette voie que certains radicaux extrêmes en sont venus à recommander une mesure qui serait, à vrai dire, une banqueroute partielle et une spoliation des créanciers de l’état.

Cette théorie se rattachait d’un autre côté aux intérêts de parti protectioniste. Pour exclure l’or du marché national et pour y faire régner le papier-monnaie, ce n’était pas assez d’établir que le papier valait de l’or. Il fallait rendre l’or inutile et éviter toute transaction commerciale qui en eût exigé l’usage. Il fallait établir des droits protecteurs pour tuer la concurrence étrangère et pour empêcher l’importation des produits du dehors ; il fallait autant que possible isoler les États-Unis du reste du monde, et se suffire avec l’industrie nationale comme avec la monnaie légale du pays. Ainsi l’expansion du papier-monnaie conduisait au régime protecteur le plus rigoureux. Bon nombre de protectionistes embrassaient avec ardeur une doctrine aussi favorable à leurs intérêts. Ceux même qui n’espéraient point tuer la concurrence étrangère, et qui ne croyaient pas que l’or pût être exclu du marché, n’en étaient pas moins les partisans déclarés de l’expansion. Plus il y aurait de papier jeté sur la place, plus la valeur de l’or deviendrait grande, et plus deviendraient onéreux les droits d’importation payés à la douane par les marchandises étrangères[1]. Protection et papier-monnaie devaient donc se soutenir et se nourrir mutuellement ; ils étaient comme les deux faces d’un seul et même système également dangereux des deux côtés.

Ainsi, tandis que les démocrates des états de l’ouest, appuyés sur le sentiment du free trade, excitaient contre la dette les vagues ressentimens populaires, il se formait dans les états de l’est, au sein même du parti radical, une faction qui se proposait un but à peu près semblable, mais qui s’appuyait au contraire sur les intérêts de l’industrie nationale et sur le système protecteur. À cette étrange coalition d’utopies et de convoitises venaient se joindre

  1. Les droits de douane doivent être acquittés en or.