Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résignation devait être leur attitude, la protestation était leur devoir. Il fallait que leurs résolutions fussent rédigées avec assez d’art pour caresser les opinions nouvelles sans s’y rendre, pour renoncer aux anciennes traditions sans les désavouer : problème incommode qu’il fallait résoudre sous peine de n’avoir plus que des généraux sans armée, et de voir le grand rassemblement de New-York s’évanouir sans laisser de traces dans l’opinion du pays.

La plate-forme démocratique débutait par un abandon formel de la sécession et de l’esclavage, par une promesse solennelle de ne jamais chercher à les faire renaître. Elle demandait en retour la restauration des droits des états et du gouvernement civil dans les pays du sud, l’amnistie politique universelle de tous ceux qui avaient pris part à la rébellion. Elle se déclarait favorable au paiement de la dette en papier-monnaie « toutes les fois qu’il n’était pas expressément stipulé que le remboursement se ferait en or, » ce qui était la répudiation partielle de l’emprunt des 5-20. Elle recommandait l’établissement d’une taxe « sur les titres de la dette et sur les autres effets publics, » ce qui était encore une autre forme de banqueroute. Elle réclamait « une seule et même monnaie pour le gouvernement et pour le peuple, pour le travailleur et pour le fonctionnaire, pour le producteur et pour le rentier de l’état. » Elle conseillait enfin l’économie, la répression des fraudes, la réforme des abus. — Une résolution d’un tout autre genre promettait l’énergique protection des démocrates à tous les étrangers naturalisés, flatterie d’usage à l’adresse de la grande association feniane, et destinée, comme la « sympathie » de la convention républicaine, à allécher les suffrages des bons électeurs irlandais. C’était la seule question sur laquelle les deux partis fussent d’accord.

Ce programme était tel qu’on devait l’attendre. Il souleva néanmoins dans le pays tout entier et dans les rangs des démocrates eux-mêmes un sentiment de réprobation soudaine où se mêlait je ne sais quelle impression de surprise et de regret. Les démocrates modérés, ceux qui repoussaient les hérésies financières de M. Pendleton, ou qui ne les considéraient que comme un instrument grossier d’agitation populaire, furent désolés de ces déclarations imprudentes qui les attachaient malgré eux à une politique financière déloyale et tombée dans le mépris. Ils sentaient que les capitalistes grands et petits dont les fonds étaient placés sur le gouvernement fédéral se comptaient par milliers dans toutes les villes, et que le peuple des États-Unis était trop éclairé et trop sage pour que l’apparence même de la banqueroute ne révoltât point la conscience nationale. Les démocrates s’étaient donc compromis en pure perte ; leurs nouvelles théories financières allaient enlever à leur parti plus de voix qu’elles ne pourraient lui en donner. De tous côtés les