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obtenir la ratification du vote populaire, et il avait fallu que le congrès fît modifier les registres électoraux pour se procurer une majorité apparente. Dans la Floride et dans plusieurs autres états, le premier soin de la législature reconstruite avait été d’abolir les incapacités politiques des blancs. Trois états restaient encore en dehors de l’Union et ne pouvaient prendre part à l’élection présidentielle : le Mississipi, la Virginie et le Texas. Le Texas n’avait pas encore achevé sa constitution, et il était en proie à l’anarchie la plus confuse. La Virginie n’avait pas encore nommé sa législature, et montrait des dispositions inquiétantes ; quant au Mississipi, il avait donné une majorité de 10,000 voix aux démocrates, et l’on allait employer pour le convertir le procédé infaillible de l’Alabama et de l’Arkansas, c’est-à-dire la révision des suffrages et la radiation des électeurs démocrates. Déjà les élections de deux des comtés avaient été annulées sous prétexte de fraude, et l’on n’attendait que de nouveaux prétextes pour faire de nouvelles annulations.

Ainsi les rôles étaient renversés : les états du sud, jadis si désireux de rentrer dans le giron de l’Union fédérale, refusaient maintenant de s’y laisser reconduire ; c’était le congrès au contraire qui, après leur avoir si longtemps fermé sa porte, les forçait d’accepter leur grâce et les ramenait dans l’Union la corde au cou. Pour les y retenir assujettis et pour les empêcher de se raviser plus tard, l’omnibus bill décrétait la perpétuité des concessions une fois faites et l’impossibilité de jamais s’en dédire. Les états du sud étaient enfermés maintenant dans une espèce de prison légale. Il ne leur restait plus d’autre ressource que d’accepter franchement cette légalité nouvelle et de se jeter à corps perdu dans la bataille électorale. Encore était-il question de leur enlever cette dernière espérance et d’altérer dans quelques états les formes mêmes de l’élection. La législature radicale de la Floride venait de décider qu’il n’y aurait pas de vote populaire, et qu’elle se chargerait elle-même de désigner les électeurs présidentiels.

Mais l’Amérique est un pays où les partis ne perdent jamais courage. A peine revenus de la convention de New-York, les chefs sudistes se mirent bravement en campagne. Ils organisèrent de toutes parts de grands meetings pour ratifier le programme démocratique et pour rallumer l’ardeur de leurs partisans. L’espérance leur était revenue. A force de répéter qu’ils allaient prendre leur revanche et « regagner dans l’urne électorale ce qu’ils avaient perdu sur le champ de bataille, » ils avaient fini par le croire eux-mêmes. Ils avaient d’ailleurs un plan nouveau : n’ayant pas à compter sur la population blanche, qui, étant exclue du droit de suffrage, ne pouvait plus en rien les servir, ils avaient résolu de s’adresser à la population noire. Puisque les noirs étaient décidément les maîtres du