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mais des injures on en venait souvent aux coups, blancs et noirs ne pouvaient plus se rencontrer sans s’assaillir de gros mots et sans se jeter des pierres. C’était un mauvais prélude à la grande alliance électorale rêvée par les démocrates entre les affranchis et leurs anciens maîtres.

Cette illusion d’ailleurs ne fut pas de longue durée. Les démocrates eux-mêmes se chargèrent d’en faire justice. Malgré les raisons sentimentales qu’ils se donnaient pour aimer les noirs et les sérieux, motifs d’intérêt qu’ils avaient de les caresser, le vieux naturel revenait au galop. Ils ne pouvaient s’accoutumer à regarder les nègres comme des créatures humaines, ni se résigner à les admettre nulle part sur le pied de l’égalité vraie. Au moment même où elle votait les exclusions les plus sévères contre les anciens rebelles, la législature de l’Alabama s’était toujours opposée à l’admission des noirs dans les voitures publiques. Dans les assemblées où ils siégeaient maintenant avec leurs esclaves affranchis, les républicains eux-mêmes supportaient avec ennui ce voisinage. Ils auraient volontiers, s’ils l’avaient osé, chassé leurs chers collègues à coups de bâton, et renvoyé au champ de coton ces insolens valets qui faisaient les maîtres. C’est à cette tentation imprudente que céda la législature de la Géorgie. L’élection avait été heureuse pour les démocrates ; ils avaient la majorité dans la chambre des représentant, et ils trouvaient là une belle occasion de montrer leur modération et leur sagesse. Ils n’y virent qu’un moyen nouveau de se compromettre par une violence grossière et maladroite. La chambre commença par annuler toutes les incapacités établies par les lois du congrès. C’était une imprudence inutile, bien qu’assez naturelle de sa part, et qu’on aurait pu encore lui pardonner ; mais, animés par ce premier succès, les démocrates voulurent aller plus loin : ils votèrent l’expulsion de tous ceux de leurs collègues qui étaient des nègres et en mirent d’un seul coup vingt-cinq à la porte. Quatre autres membres de couleur douteuse furent examinés par un comité spécial. On décida enfin, après de longues discussions, que ceux qui n’auraient pas plus d’un huitième de sang noir seraient admis par grâce dans l’assemblée et traités comme s’ils étaient blancs. C’était trop de bonté pour les noirs.

Les républicains reçurent cette nouvelle avec une joie sans mélange. Cet acte de passion aveugle, et de brutalité méchante faisait admirablement leurs affaires. Il consommait la rupture de l’alliance déjà si fragile que les démocrates essayaient de former avec les hommes de couleur. Un député mulâtre du nom de Turner avait lancé, avant de quitter la chambre, un défi solennel aux démocrates. « Nous partons, s’était-il écrié, nous partons parce que vous nous chassez ; nous ne vous demandons qu’une chose, c’est de