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lui préféraient le juge Chase, dont la candidature, si longtemps probable, ne surprendrait pas autant l’opinion publique, d’autres enfin croyaient que le président Johnson, se trouvant déjà en possession du pouvoir, serait encore un choix plus sûr et plus facile à faire accepter ; mais personne ne voulait plus de Seymour et Blair. Le temps pressait, il n’y avait pas une minute à perdre en délibérations vaines ; on ne pouvait songer, quand l’élection était imminente, à réunir une convention nouvelle pour réviser les décisions de la première. Il fallait agir et non parier. Il suffirait, disait-on, d’obtenir la démission de Seymour et de Blair, — quelques-uns assuraient même qu’ils la tenaient prête, — puis on ferait nommer Chase, Hancock ou tout autre par le comité national démocratique, ou même, pour épargner le temps, par la commission exécutive du comité qu’on avait sous la main, et qui pouvait être rassemblée en une heure ; — peut-être pouvait-on aussi les faire désigner par une convention nationale extraordinaire qui s’improviserait spontanément dans la capitale, et qui lancerait une proclamation au peuple. Le télégraphe et la presse répandraient en quelques heures la nouvelle, et, pourvu que Seymour se retirât de lui-même, on pouvait compter absolument sur la discipline du parti. Quelques personnes proposaient même de supprimer toute candidature démocratique, et de faire au général Grant l’honneur d’une élection unanime, afin de l’encourager dans sa modération bien connue, et d’empêcher qu’il ne tombât tout à fait sous l’influence exclusive du parti républicain. Au moins le général conserverait-il ainsi son indépendance et sa neutralité entre les partis.

Ce projet tardif et imprudent n’eut pas de suites sérieuses et ne pouvait guère en avoir. Ni Johnson, ni Hancock, ni Chase, n’étaient disposés à risquer leur nom sur une gageure aussi aventurée. Quand même ils l’eussent bien voulu, que pouvait-il en sortir de bon ? « Ce n’est pas, comme disait le président Lincoln, le moment de changer les chevaux quand le chariot passe le gué. » Un tel revirement à une pareille heure n’aurait été qu’un aveu de faiblesse, il n’aurait servi qu’à jeter plus de trouble encore dans les rangs du parti démocrate. La seule annonce de ces incertitudes lui avait causé déjà beaucoup de mal. On s’aperçut d’ailleurs à la fin que parmi les promoteurs les plus actifs de ce projet insensé il y avait un certain nombre de parieurs imprudens qui avaient engagé de très grosses sommes sur la tête des candidats démocrates, et qui ne voyaient dans toute cette affaire qu’un moyen de rompre le pari. Quant à MM. Seymour et Blair, ils offrirent eux-mêmes de se désister et de céder la candidature à d’autres, si leurs partisans le jugeaient utile. On refusa avec indignation ce qu’on se plut à nommer leur sacrifice, on leur envoya des députations pour leur adresser des paroles