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dit ce qui fait que les comédies de l’auteur de la Camaraderie ont été reprises tant de fois et toujours avec bonheur, épreuve que celles de M. Dumas fils, malgré d’incontestables succès, n’ont guère subie ? A-t-il dit du moins la réserve qui a fait aimer le talent de Scribe et l’a empêché, je crois, d’écrire aucune préface, et certainement de juger aucun de ses concurrens ? M. Dumas fils, qui range tout uniment M. Flaubert avec Bossuet, Pascal et Voltaire, n’a pas, et nous sommes les premiers à l’excuser, l’habitude de la critique. On ne naît pas critique, « comme on naît blond, brun ou auteur dramatique, » à ce que dit M. Dumas, lui qui a le droit de le penser et de le dire. On devient critique lorsqu’on a tiré de l’expérience cette leçon entre autres, qu’il faut dans un écrivain faire la balance des qualités et des défauts, et que la bonhomie la plus sincère ne met pas à l’abri du reproche d’étourderie. Que M. Dumas fils laisse donc cette fonction, à laquelle, il l’a dit lui-même, on n’arrive point par droit de naissance, ou bien qu’il l’exerce sur ses propres œuvres. Le nom de Corneille est un exemple trop haut ; mais celui de Picard, qui mettra sans doute M. Dumas plus à l’aise, s’est rendu aimable non-seulement par de jolies comédies, mais par des préfaces où il fait la critique de ses pièces, non la critique de celles des autres.

Scribe n’est sans doute pas le seul comique dont l’histoire littéraire de 1830 à 1848 devra s’occuper. Les éloges que M. Dumas fils prodigue à l’un d’eux sont un hommage de piété filiale que nous n’avons pas lu sans émotion ; mais il n’est permis qu’à lui de s’y tenir comme à l’expression de la rigoureuse vérité. Sur les drames de M. Dumas père, le jugement définitif, nous le croyons, a été porté. Ses comédies l’ont placé dans une situation intermédiaire entre l’école romantique et la comédie telle que nous venons de l’esquisser. Toutes les qualités qui ont assuré le succès de l’auteur de Mademoiselle de Belle-Isle, esprit, vivacité, entente de la scène, nous n’avons ni à les établir ni à les contester. C’est du fond même de ses conceptions qu’il s’agit ici. A propos d’une narration légèrement risquée, on a parlé dernièrement de situation physiologique, et quelques-uns y voyaient une preuve de sincérité hardie. Il faut donc que la comédie de M. Dumas père soit bien sincère, car il n’y a guère autre chose. Le fait physiologique paraît accompli, tout est perdu ; il est réduit à néant, tout est sauvé. Le duc de Richelieu a-t-il passé la nuit dans le même appartement que Mlle de Belle-Isle ? Là est toute la comédie ; il n’est pas question d’autre chose, même entre une jeune fille vertueuse et un fiancé vraiment épris. Des preuves morales, des cris de l’âme et du cœur, pas un mot. Certes de telles œuvres ne font pas un extrême honneur à la