Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/736

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

précisément de pécher contre la grammaire. Pourquoi tant parler d’incorrection quand il s’agit de trivialité ? Si le succès aujourd’hui s’obtient par la seconde, osez l’avouer. On cherche à faire passer Molière pour incorrect, et là-dessus on s’arroge le droit d’être trivial. Molière incorrect ! Ceci même est loin d’être prouvé, quoi qu’en disent La Bruyère, Fénelon, que M. Dumas fils cite en faveur de sa cause, et Voltaire, qu’il ne cite pas et qui est plus formel. La Bruyère parle de jargon et de barbarisme, il est vrai, il reproche à Molière de n’écrire pas purement ; mais s’agit-il ici de fautes grammaticales, ou bien de négligences et d’expressions impropres, comme Vauvenargues lui-même en fournit l’idée ? Quant à Fénelon, il ne parle que de phrases forcées et peu naturelles, de métaphores qui approchent du galimatias. M. Dumas fils a aussi les siennes, qu’il est libre de rapprocher de celles de Molière. Qu’eût dit le bon archevêque du naturel de cette phrase ? « C’est en tombant de cette espérance dans la réalité que je me suis fait tant de mal. » Ou bien de cette métaphore ? « Le passé est mort d’apoplexie, que Dieu ait son âme, s’il en avait une ! » Que M. Dumas essaie de placer ces fantaisies sous le couvert du prétendu galimatias de Molière, c’est son droit ; mais qu’il renonce à trouver Molière incorrect, même dans la demi-page qu’il extrait du Bourgeois gentilhomme, et qui n’est qu’un morceau de la langue du temps, surtout qu’il ne donne pas ses trivialités d’élocution pour un héritage direct de l’auteur du Misanthrope. A propos de certaines pages de Balzac, on a prononcé le mot de gaminerie : ce terme même ne suffit plus pour caractériser un dialogue où l’ironie vulgaire est non pas accidentelle, mais constante. Le mot dont nous avons besoin a été trouvé par un autre écrivain non moins célèbre le jour où il a voulu montrer à côté de la contagion des mœurs détestables celle du mauvais langage. Ce n’est pas seulement pour M. Dumas fils, c’est pour toute une époque du théâtre que ce mot sera un très sérieux reproche, et l’on admirera plus tard le succès prolongé qu’a obtenu la blague au moment même où toutes les scènes ont eu la prétention de se dire des théâtres français.

Lorsque Buffon entreprend la description d’un animal, il en fait d’abord le portrait, puis il passe à son genre de vie, à ses habitudes. Balzac, ayant annoncé dans une préface célèbre l’intention de décrire les hommes comme un règne à part dans la nature, se mit à détailler les espèces de l’animal nouveau dont il voulait être l’historien, et à représenter leurs allures, leur manière de vivre, d’agir, de parler. Ses imitateurs dans le roman et au théâtre n’ont pas fait autrement. Ils ont étudié les façons de parler comme les naturalistes ont cherché à connaître les différentes manières