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définitif. Toujours éloquent quand il s’agit d’exprimer l’amour filial, il a des accens pénétrans pour prononcer ce nom de mère dont le théâtre abuse un peu ; notez pourtant que ses mères sont toujours des filles séduites.

Nous croyons avoir établi par le langage, par la nature des sujets de M. Dumas fils, par sa manière de les traiter, non-seulement qu’il procède de Balzac, mais qu’il est son héritier le plus direct. D’autres, comme M. Sardou, ont choisi tous les petits sujets que paraît fournir la peinture des mœurs, ou, comme M. Barrière, ont rapporté de l’étude du maître des charges quelquefois, heureuses, mais qui n’étaient pas des tableaux, ou bien encore, comme M. Meilhac, ont fait des charges qui pourront devenir des tableaux. Quelques-uns ont essayé sans succès la comédie réaliste ; nous avons même vu la comédie positive, tirée du code ou de Barème. Ce que nous avons dit de M. Dumas fils peut suffire pour exprimer notre opinion sur l’école tout entière. Nous manquerions aux règles de la justice, si nous n’indiquions ce qui justifie le succès de l’auteur du Demi-Monde, ce qu’il ne doit à aucun maître, et ne partage peut-être avec aucun disciple. Il a le sentiment très net de la composition et l’art du dialogue, deux qualités précieuses. Par la seconde, il rappelle peut-être certaines allures paternelles, les répliques vives, légères à la course, presque essoufflées, interrompues par des tirades qui permettent à l’intelligence la plus paresseuse de suivre l’action. Par la première, il laisse derrière lui tous ses rivaux. On chercherait en vain à le dissimuler, la composition, l’ensemble, l’unité de ton et de moyens, sont choses très rares aujourd’hui. La curiosité du public provoquant de la part des auteurs une sorte d’assaut qui ne profite pas à la logique des idées, les écrivains ont perdu de vue l’effet général pour chercher les effets de détail ; ils se mettent en voyage sans renoncer aux incidens de la route, ils commencent leur expédition sans pouvoir dire comme Mithridate :

Je sais tous les chemins par où je dois passer.


Une page curieuse de la préface du Demi-Monde permet d’entrevoir le procédé de M. Dumas fils, et prouve l’importance qu’il attache à l’unité de conception. Il laisse à d’autres l’industrie patiente qui rattache ensemble des morceaux en dérobant les soudures ; sa statue peut n’être pas du plus beau bronze, mais elle est fondue tout d’une pièce.

Nous avons fait une large place aux comédies de M. Dumas fils ; en publiant son théâtre complet, il nous avertit lui-même que la