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l’incrimine pas dans son principe, c’est la « manœuvre à l’intérieur » qu’on poursuit. Les tribunaux ont désormais de la besogne, s’ils doivent découvrir des « manœuvres à l’intérieur » dans toute polémique, dans toute manifestation surprise à rôder autour des origines du gouvernement.

Le souverain danger des débats de ce genre, c’est qu’ils sont absolument sans issue, c’est qu’ils subordonnent à des questions rétrospectives les intérêts actuels les plus pressans, c’est qu’en définitive ils n’ont d’autre effet que de raviver les ressentimens et les irritations, de nous replacer dans une atmosphère où il semble, en vérité, qu’on soit condamné à vivre entre les conspirations et les coups d’état. Assurément, nous n’avons aucune peine à le croire, ce n’est pas la pensée du gouvernement de ramener dans la politique de 1868 les procédés de la politique du 2 décembre 1851, de recommencer les coups d’état, et ce serait une exagération presque puérile de voir dans les poursuites engagées depuis quelques jours le préliminaire d’un vaste plan de réaction qui serait près de triompher de nouveau. Ce qu’on a dit sur tout cela ne pouvait être qu’une imagination saugrenue de quelques nouvellistes effarés. Depuis dix-sept ans, depuis huit ans surtout, la situation de la France s’est singulièrement transformée, et le gouvernement lui-même a marché ; il ne peut pas avoir aujourd’hui l’intention de revenir à son point de départ, ce qui serait un étrange aveu d’impuissance ; il ne peut pas avoir la pensée d’effacer d’un trait de plume ce qu’il a fait dans ces dernières années, de révoquer des lois qui, sans être encore fort libérales, sont du moins un commencement de satisfaction. Le gouvernement le voudrait d’ailleurs qu’il ne le pourrait pas, et la plus périlleuse des politiques pour lui serait de paraître vouloir ce qu’il ne veut pas véritablement. C’est cette apparence qui fait précisément de ces dernières poursuites judiciaires un acte d’impatience compromettante en leur donnant un faux air de retour à des habitudes qui ne sont plus de saison. Nous ne rechercherons même pas si elles sont justes ou si elles ont le caractère d’une évidente nécessité de défense, sûrement elles ne sont ni habiles ni politiques, car enfin à quoi ont servi tous ces procès intentés à la fois sur tous les points de la France ? Le gouvernement n’a réussi qu’à doubler le retentissement d’une manifestation circonscrite à l’origine dans une certaine sphère. Ce 2 décembre qu’il a voulu protéger, il a été sur la sellette dans tous les prétoires, des commentaires passionnés ont pu se produire. On l’a dit spirituellement, il y a depuis quelques jours devant les tribunaux un cours public sur le 2 décembre. Ce n’est même pas là encore un grand mal. Il faut bien nous accoutumer à discuter sur nos points douloureux. Si cette date du 2 décembre excite encore une émotion si vive, ce n’est pas seulement parce qu’elle est la plus récente de nos révolutions, c’est surtout parce qu’on n’en a rien dit jusqu’ici, parce qu’elle est restée inviolable comme un secret que tout le