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monde connaît vaguement et dont personne ne peut parler. N’eût-il pas été plus habile de laisser passer cette agitation d’un moment à laquelle il fallait bien s’attendre le jour où on aurait la langue un peu déliée, et de montrer par les actes que ce n’est plus là que de l’histoire, que nous sommes réellement dans une époque nouvelle où nous avons autre chose à faire qu’à nous épuiser dans des querelles rétrospectives ?

Il y a eu dans ces poursuites un danger bien autrement sérieux qui n’a point tardé à se révéler, c’est l’invasion de la politique dans la justice et, par une suite inévitable, la division se mettant entre les tribunaux. C’est ce qu’on vient de voir. Sur le même fait, dans les mêmes questions, un juge a prononcé d’une certaine manière, un autre juge prononce d’une façon différente. Ce que l’un condamne, l’autre l’absout. Ce qui est coupable à Paris est innocent à Clermont ou à Alby, et le sera peut-être ailleurs. Voilà le danger : à vrai dire, il n’a rien d’imprévu, il a été pressenti par tous les esprits sérieux le jour où on a mis dans des lois des délits vagues échappant à toute définition juridique, et ici encore c’est la suite d’un système hésitant à prendre résolument son parti. Nous ne demandons plus si, lorsque l’empereur donnait le signal d’une politique plus libérale, il a été bien habile de la part du gouvernement de réaliser cette pensée avec de si évidentes restrictions, de n’avoir l’air de se dépouiller du pouvoir discrétionnaire que pour se décharger sur la justice de la besogne ingrate des répressions. C’était dans tous les cas un dangereux compromis dont la justice payait les frais, puisqu’elle était désormais attirée dans un domaine qui n’est pas le sien. Placée sur ce terrain, elle était exposée à paraître trop obéissante ou trop indépendante, et elle devait inévitablement se diviser. Mais c’est là, dira-t-on, le cours ordinaire des choses ; tous les jours il arrive que les tribunaux ne sont pas d’accord. Rien n’est plus vrai, rien n’est plus simple aussi que des juges se livrent à des interprétations différentes d’un point de droit civil. Dans les poursuites actuelles, c’est une tout autre, affaire. Qu’est-ce qu’une manœuvre à l’intérieur ? On ne le sait certes pas. Qu’est-ce qu’une réunion privée ou une réunion publique, puisque cette question vient de revenir à Nîmes ? On ne le sait pas davantage. Celui qui prononce sur ce point, qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas, fait évidemment œuvre de politique, et les divergences prennent alors une bien autre portée. Ce sont là les inconvéniens qu’il était facile d’éviter en faisant d’abord des lois moins élastiques, en s’abstenant aujourd’hui de se lancer dans toutes ces poursuites qui ne pouvaient que mettre ce danger en lumière, et qui en fin de compte n’ont pour effet que de prolonger une agitation artificielle dont la liberté, nous le craignons, n’est pas la première à profiter.

Et tandis que noire vie intérieure se déroule au courant de ces agitations ou des incidens éphémères qui se succèdent, ce siècle qui a vu tant