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précis, a déjà contribué tout au moins à créer des rapports plus aisés, plus dégagés de méfiance. Le reste peut venir, si on a la bonne volonté. Quant à l’avantage que M. Disraeli a voulu tirer de ces promesses de médiation diplomatique, il n’a vraiment pas été fort efficace au scrutin, et il n’est point impossible aujourd’hui que ce soit lord Clarendon lui-même qui ait la mission de reprendre ces négociations auxquelles il n’a été mêlé jusqu’ici que comme un médiateur intime et bénévole, à moins que la direction des affaires étrangères ne passe à quelque compétiteur plus heureux, tel que lord Granville, dont le nom paraît avoir été sérieusement prononcé dans les combinaisons nouvelles qui se préparent.

C’est là en effet le grand événement de l’Angleterre : on peut dès ce moment considérer la succession ministérielle comme ouverte, à voir la façon dont vient de se terminer la lutte électorale. Elle s’est déroulée, cette lutte, avec ses incidens, ses surprises, ses émotions, et même les coups de fusil se sont mis de la partie sur certains points, à Belfast, à Newport, à Cork, à Drogheda, à Sligo. Il y a eu des morts sur ce pacifique champ de bataille des élections, et le dernier mot du combat, c’est la défaite éclatante du parti conservateur et du cabinet tory, c’est la victoire décisive du parti libéral, qui rentre au parlement tout triomphant avec une majorité de plus de 100 voix. M. Disraeli a eu beau se prévaloir de l’habileté de lord Stanley dans la direction des affaires extérieures ; il a eu beau laisser entrevoir pour l’Angleterre, représentée par le cabinet tory, ce rôle d’une puissance pacificatrice en Europe, il a eu beau enfin remuer les passions protestantes, mettre en jeu tous les ressorts, cela n’a servi à rien, la défaite n’a pas moins été complète, et, par une circonstance singulière, les jurisconsultes de la couronne n’ont pas été réélus, quoiqu’ils soient obligés d’intervenir dans les travaux parlementaires. A dire vrai, ce dénoûment était dans le sentiment public. Il pouvait y avoir de l’incertitude sur la mesure de la victoire des libéraux ; pendant ces quelques jours de la durée des élections dans les bourgs, dans les villes, dans les comtés, quelques succès partiels des conservateurs ont pu faire illusion et adoucir pour les chefs tories l’amertume de la déroute. Au fond, depuis le premier moment il n’y avait point de doute possible, et le dénoûment de la crise électorale anglaise est d’autant plus grave que les libéraux marchaient au combat principalement sous le drapeau de l’abolition de l’église d’Irlande.

Telles qu’elles se sont accomplies cependant, ces élections offrent plus d’un trait curieux. Avec tout ce qu’elle a d’éclatant, d’incontestable, cette victoire des libéraux ne laisse pas de trouver elle-même ses limites dans la manière dont elle a été obtenue, dans quelques-unes des circonstances qui l’ont, accompagnée. Il ne faut pas croire que la défaite morale des conservateurs soit absolument en proportion de leur défaite matérielle. Le parti tory reste puissant encore, malgré son infériorité numérique