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Cependant le but de cette reprise des Huguenots n’était atteint qu’à moitié. Le succès se dessinait tant bien que mal, on réussissait, mais par des élémens connus et en quelque sorte à demeure à l’Opéra, les chœurs, l’orchestre, la mise en scène. Mme Marie Sass et sa voix splendide dans Valentine, M. Faure dans le comte de Nevers, n’offraient au public qu’un intérêt déjà depuis longtemps escompté. C’était un peu le dîner de Boileau : on n’avait ni Lambert ni Molière, et l’important était de les avoir. L’imprévu, l’inédit, s’obstinaient à faire défaut ; on se piqua au jeu, et l’engagement de Mme Carvalho fut résolu et signé en quelques heures, au milieu des pourparlers qui devaient aplanir le différend survenu à propos de la question de Faust. Aujourd’hui que l’éclat de ces débuts a dépassé tout ce qu’on pouvait attendre, il devient très facile d’approuver et de prophétiser. Il n’en est pas moins juste de reconnaître que ce coup de tête profitera immensément au répertoire. La question n’est pas de savoir si au théâtre l’engagement de Mme Carvalho plaît à tout le monde ; ce qu’il y a de certain, c’est que le public s’en accommode à merveille. La foule énorme, les applaudissemens, tout cela porte un assez haut témoignage en faveur de la mesure qu’on vient de prendre. Nous parlions dernièrement de l’insensibilité du public à l’endroit des artistes de théâtre : elle existe en effet, brutale et féroce ; mais ne frappe que sur ceux qui n’ont plus de talent. Dans le cas contraire, aux élans de son admiration se mêlé une véritable frénésie sympathique. Ainsi, dans les applaudissemens qui l’autre soir accueillaient Mme Carvalho avant même qu’elle n’eût ouvert la bouche, on sentait je ne sais quelle tendresse émue qui, dans la virtuose, cherchait la femme pour lui parler au cœur. A des avances faites sur ce ton, il n’y avait qu’une manière de répondre, Mme Carvalho l’a compris, et la cantatrice s’est exécutée de la meilleure grâce. Elle a dit sa cavatine avec une délicatesse, une bravoure, un art dont la perfection n’est plus en cause. L’unique préoccupation était de savoir si dans cette vaste salle de l’Opéra, très sonore pourtant, sa voix porterait, et, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, on peut être rassuré. Il en est un cependant sur lequel j’appelle toute l’attention de Mme Carvalho, je veux parler de son geste et de ses mouvemens de physionomie, presque toujours empreints d’un naturel d’opéra-comique. Ainsi, dans le duo avec Raoul, dans la strette surtout, elle a des espiègleries qui rappellent les Noces de Jeannette. Chose curieuse, chez Mme Carvalho, qui est en musique le style même, l’actrice a toujours plus ou moins manqué d’élévation, elle chante grand et joue petit.

A peine l’engagement de Mme Carvalho était-il connu, qu’une lettre de Mlle Nilsson paraissait dans les journaux. L’aimable et brillante Suédoise, rendant à l’ancienne directrice du Théâtre-Lyrique tous les hommages qui lui sont dus, déposait modestement à ses pieds le rôle de Marguerite dans l’opéra de M. Gounod. « Après vous, madame, et quand vous êtes là, en vérité, qui oserait jamais ? » Tel était en quatre mots le sens de cette