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printemps, toutes leurs feuilles dès qu’ils sont exposés au grand air. Les serres et le mode de chauffage qui y est appliqué, excellens il y a trente ans, sont maintenant arriérés. Partout l’encombrement est le même que dans l’orangerie. Dans les vastes serres de Kew, la plante, se développant librement comme dans son pays natal, prend son aspect et son port naturels. La même plante au Muséum, gênée dans sa croissance, souvent mutilée pour occuper moins de place, ne fleurit ni ne fructifie, et par conséquent ne fournit point au botaniste les caractères qui servent à décrire et à classer les végétaux. La somme annuelle de 800 francs affectée à l’achat des plantes est dérisoire ; il en résulte qu’une espèce nouvelle n’arrive au Muséum que par voie d’échange ou lorsqu’elle est devenue tellement commune que le plus modeste amateur peut l’acquérir à vil prix. Si le matériel est insuffisant, le personnel ne l’est pas moins. Deux professeurs et quatre aides-naturalistes sont chargés de tout le travail scientifique ; mais les professeurs ne peuvent pas donner, comme leurs collègues de Kew, tout leur temps à la science et aux soins de l’établissement qu’ils dirigent ; leur enseignement en réclame une partie considérable.

Quant aux aides-naturalistes, qui tous portent des noms connus dans la science et dont deux sont membres de l’Institut, leur traitement est si modique[1] qu’ils ne sauraient se dévouer entièrement à leurs fonctions. Ainsi matériel, personnel, tout fait défaut, et, si l’on est en droit de s’étonner d’une chose, c’est que le Jardin des plantes soit ce qu’il est, et offre aux botanistes les ressources qu’ils y trouvent. Cette pénurie, cet abandon, sont encore plus frappans par le contraste qu’ils font avec la prospérité de l’horticulture décorative dans la ville de Paris. De nombreuses serres établies à Passy, des pépinières, des jardins de multiplication, renouvellent périodiquement, mais uniformément, les arbres, les arbustes et les fleurs qui ornent les squares et les promenades de la capitale. On ne saurait qu’applaudir à ce luxe intelligent et se féliciter de voir le public tout entier initié à des jouissances qui étaient autrefois le privilège exclusif du riche ; mais n’y a-t-il pas lieu de regretter que l’horticulture soit si bien traitée quand la botanique l’est si mal ? C’est une fille qui vit dans l’opulence tandis que sa mère languit dans la misère. Il semble même que toute idée scientifique ait été soigneusement bannie de ces splendides jardins. Jamais les plantes ne sont groupées suivant leurs affinités ou le pays dont elles sont originaires, jamais on n’y découvre une étiquette qui indique le nom, la famille naturelle, les usages économiques ou industriels, la patrie de la plante, l’époque où elle fut

  1. De 3,000 à 3,500 francs.