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d’eux. On voit celles-ci se montrer parfois comme subitement en nombre immense, se maintenir pendant un temps, puis décliner et disparaître pour faire place à des formes nouvelles, laissant dans les couches terrestres superposées les fossiles, ces médailles des anciens jours qui nous en racontent l’histoire. Faunes et flores se transforment ainsi sans cesse, sans jamais se répéter, et d’extinctions en extinctions, de renouvellemens en renouvellemens, apparaissent enfin nos animaux et nos plantes, tout ce vaste ensemble que le botaniste et le zoologiste étudient depuis des siècles, découvrant chaque jour quelque contraste nouveau, quelque harmonie inattendue.

Voilà les faits. À eux seuls, ils témoignent de la grandeur des intelligences qui ont su les mettre hors de doute ; mais de nos jours moins que jamais l’esprit de l’homme se contente de connaître ce qui est : il veut en outre l’expliquer, et la profondeur, l’immensité même des problèmes est pour lui un attrait de plus. Or il ne peut guère en rencontrer de plus ardus qu’en s’attaquant à ce que les manifestations de la vie ont de général et pour ainsi dire de cosmogonique. D’où viennent ces myriades de formes animées qui ont peuplé, qui peuplent encore la terre, les airs et les eaux ? Comment se sont-elles succédé dans le temps ? Par quoi en a été réglée la juxtaposition dans l’espace ? À quelle cause faut-il attribuer les ressemblances radicales qui relient tous les êtres organisés et les différences profondes ou légères qui les partagent en règnes, en classes, en ordres, en familles, en genres ? Qu’est-ce au fond que l’espèce, ce point de départ obligé de toutes les sciences naturelles, cette unité organique à laquelle reviennent sans cesse ceux-là mêmes qui en nient la réalité ? Est-elle un fait d’origine ou la conséquence d’un enchaînement de phénomènes ? Entre des espèces voisines et se ressemblant parfois de manière à presque se confondre, y a-t-il autre chose que de simples affinités ? Existerait-il entre elles une véritable parenté physiologique ? Les espèces les plus éloignées elles-mêmes ont-elles paru isolément, ou bien remontent-elles à des ancêtres communs, et faut-il chercher jusque dans les temps géologiques, à travers de simples transformations, les premiers parens des plantes, des animaux nos contemporains ? Telles sont quelques-unes des questions que l’homme s’est posées à peu près partout et de tout temps, sous des formules variables selon le savoir de l’époque. Aujourd’hui notre science ne fait que les mieux préciser, et c’est à elles que répond le livre de M. Darwin.

Le nom de Charles Darwin, le mot de darwinisme, qui désigne l’ensemble de ses idées, sont aujourd’hui universellement connus, et les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les études insérées ici