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principales desquelles il n’est pas impossible que toutes les autres soient issues. » Enfin de la discussion détaillée de ces souches premières faite à ce point de vue il conclut que le nombre en peut être estimé à trente-huit[1].

Certes Buffon à cette phase de sa carrière aurait mérité de figurer dans l’historique de Darwin ; mais on sait qu’après avoir, pour ainsi dire, exploré les deux doctrines extrêmes et contraires, Buffon s’arrêta plus tard à des convictions qu’il conserva définitivement. L’espèce ne fut plus à ses yeux ni immobile, ni mutable. Il reconnut que, tout en restant inébranlables en ce qu’ils ont d’essentiel, les types spécifiques pouvaient se réaliser sous des formes parfois très différentes. En d’autres termes, il joignit à l’idée bien arrêtée de l’espèce l’idée non moins nette, non moins précise, de la race, distinction fondamentale où se retrouve l’empreinte du génie revenant à la vérité, éclairé par ses erreurs mêmes. C’est certainement pour l’avoir trop oubliée que les hommes les plus éminens se sont parfois égarés. Buffon appliqua d’ailleurs à la formation des races la doctrine par laquelle il avait expliqué auparavant les altérations de l’espèce. « La température du climat, la qualité de la nourriture et les maux de l’esclavage » restèrent pour lui les causes déterminantes des modifications subies par les animaux : il trouva dans le monde extérieur la cause unique et immédiate de ces modifications. Nulle part il ne donne à entendre que l’être réagisse d’une manière quelconque, et vienne par lui-même en aide à l’action qui s’exerce sur lui. Ici Buffon fut évidemment incomplet ; mais il n’en eut pas moins le mérite de formuler nettement le premier les bases de la théorie des actions exercées par le milieu et d’appeler l’attention sur l’influence de la domesticité.

Lamarck fut d’abord le disciple de Buffon, le familier de sa maison ; il entra à l’Académie des Sciences l’année même où parut le dernier volume de l’Histoire naturelle (1779). Nous n’avons pas à montrer ici combien étaient mérités cet accueil et cette récompense, non plus qu’à insister sur les mérites éminens du naturaliste qu’on a nommé le Linné français. Ses études théoriques sur l’origine et la filiation des espèces doivent seules nous occuper. Sur ce sujet, Lamarck a reflété les deux premières phases de son maître ; mais il s’est arrêté à la seconde. Il en avait accepté l’idée fondamentale, et la poursuivit jusque dans ses conséquences les plus extrêmes à l’aide de ses conceptions propres. En outre, doué d’un esprit à la fois méthodique et spéculatif, il céda à la tentation d’expliquer les phénomènes du monde organique en les rattachant à

  1. Œuvres de Buffon. — De la dégénération des animaux.