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passages d’une espèce à l’autre, et il blâme Lamarck d’avoir cru à la possibilité des modifications chez un animal adulte. Il s’éloigne encore de lui par sa manière de comprendre, au moins dans certains cas, la transformation des types. « Ce n’est évidemment point par un changement insensible que les types inférieurs d’animaux ovipares ont donné le degré supérieur d’organisation. » En supprimant ainsi la nécessité de formes intermédiaires, en admettant la possibilité d’une modification brusque des types, Geoffroy répondait d’avance à une des plus sérieuses objections que soulève la doctrine de la filiation lente des êtres, objection que Lamarck avait prévue, et dont il ne s’était nullement dissimulé la gravité.

Après avoir donné les formules générales qui doivent, selon lui, rendre compte de la transformation des animaux, Geoffroy comprend, lui aussi, qu’il faut en venir à un exemple spécial. Ici il n’est vraiment pas plus heureux que Lamarck. Il avait reproché à celui-ci ses colimaçons adultes modifiant les formes de leur tête par l’influence du désir, de la volonté, et faisant naître ainsi des tentacules qui grandissent de génération en génération ; lui, il suppose un reptile qui « dans l’âge des premiers développemens éprouve une constriction vers le milieu du corps, de manière à laisser à part tous les vaisseaux sanguins dans le thorax, et le fond du sac pulmonaire dans l’abdomen. C’est là, ajoute-t-il, une circonstance propre à favoriser le développement de toute l’organisation d’un oiseau. » La portion postérieure du poumon se transforme en cellules abdominales ou sacs aériens[1]. Agissant à la manière d’un soufflet, elle envoie dans la portion antérieure ou thoracique de l’air comprimé renfermant plus d’oxygène sous un moindre volume. De là résulte un surcroît d’énergie pendant la combustion respiratoire, et par suite l’élévation de la température, des modifications profondes dans le sang, l’accélération de la circulation, l’accroissement de l’énergie musculaire, enfin « le changement des houppes tégumentaires en plumes. » Voilà ce que Geoffroy, entraîné par ses convictions, appelle « soulever le voile qui nous cache comment la mutation de l’organisation est réellement possible, comment elle fut et doit avoir été autrefois praticable. » Quant à la succession des êtres, aux relations des espèces actuelles avec les espèces paléontologiques, les modifications de l’atmosphère, les progrès réalisés à la surface du globe soit par l’action des phénomènes naturels, soit par l’industrie de l’homme, lui en rendent aisément compte. « Ce

  1. Chez les reptiles, le poumon consiste en une grande poche sur les parois de laquelle rampent les vaisseaux sanguins. Chez les oiseaux, il existe dans l’abdomen de grandes poches qui communiquent avec le poumon et en reçoivent de l’air qu’elles poussent jusque dans les os des membres par des canaux particuliers.