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esprit et sa stratégie ; on prit les armes de Voltaire pour défendre les théories de Rousseau. Ces deux maîtres furent associés dans l’admiration populaire comme ils l’étaient sur les cheminées des maisons libérales. Un groupe de joyeux tirailleurs se mit en guerre avec un entrain prudent, une fougue modérée, une grivoiserie décente, et la chanson fut à Genève, comme en France à la même époque, un moyen très populaire d’opposition.

On chantait le cotillon, la bouteille, le dieu des bonnes gens, la liberté, Guillaume Tell, on inventait des flons-flons pour les fêtes nationales. On réunit bientôt ces gaités dans un recueil périodique, l’Almanach genevois, les heureux combattans, voulant porter des coups plus sérieux, fondèrent en 1827 le Journal de Genève ; l’un des fondateurs de cette feuille fut M. James Fazy. Bientôt un seul journal ne suffit plus, et M. Petit-Senn créa son Fantasque, où il osa dénoncer avec esprit les petits travers de la société officielle et dominante. Le pouvoir ne répondit point, il se croyait éternel. Il avait perdu cependant peu à peu les hommes qui le dirigeaient ou le stimulaient. Dumont, Lullin de Châteauvieux, Bellot, P. de Candolle, Sismondi, étaient morts ou allaient mourir ; Rossi était installé à Paris. Le parti radical, qui grondait partout, finit par tonner dans la cité de Calvin, où il étouffa les murmures du Journal de Genève et l’hilarité du Fantasque. Enfin M. James Fazy, qui s’était séparé de ses anciens camarades pour cultiver une littérature moins prudente et moins correcte que la leur, monta brusquement au pouvoir, où il régna seul.

Genève changea de maîtres du jour au lendemain ; tout ce qui l’éclairait et la dominait rentra dans l’ombre. Au nom du progrès et des lumières, M. James Fazy abattit ou écarta presque tous les hommes distingués. Il s’appuya sur le nombre et s’arma contre l’intelligence ; il mit l’académie sous la main du gouvernement, l’amoindrit par des destitutions ou des démissions forcées. Il fut même question un moment de supprimer les études supérieures ; mais à ce danger les yeux s’ouvrirent, et les conservateurs fondèrent un gymnase libre qui paraissait annoncer une académie libre. « Devant cette manifestation, dit M. Joël Cherbuliez, le radicalisme recula, s’apercevant qu’il faisait fausse route. Dans ses rangs mêmes, les pères de famille réfléchirent qu’au lieu de porter un coup à l’aristocratie, comme on le prétendait, la suppression des hautes études aboutirait simplement à lui donner le monopole des carrières libérales, puisque les riches pourraient seuls envoyer leurs fils étudier à l’étranger. L’académie fut donc sauvée. » Il faut de plus reconnaître qu’à certains égards l’enseignement s’élargit. Ne trouvant pas assez d’hommes dans son parti pour repeupler les