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Northampton, par exemple, est une ville profondément libérale ; mais l’élément en majorité suffirait-il à la rude épreuve qu’on lui imposait ? 4 candidats appartenant à la même opinion, quoique séparés par des dissidences assez graves, se disputaient le terrain avec acharnement. A Finsbury, un conservateur, voyant Il autres candidats libéraux assiéger la place, crut le moment favorable pour une surprise, et de son côté s’élança sur la brèche. Aux Tower-Hamlets et à Marylebone, c’était la même rivalité malheureuse entre les champions de la même cause. A Hackney, 5 libéraux cherchaient à monter dans un fiacre qui conduisait bien au parlement, mais dont le principal inconvénient était de ne contenir que deux places. 3 d’entre eux devaient nécessairement rester derrière la voiture[1]. De telles concurrences fâcheuses s’expliquent aisément dans un parti qui se compose de plusieurs nuances. Le tory est tout d’une pièce : on peut au contraire être libéral ou radical à des degrés très divers. Les Anglais, habitués à vivre au milieu des sectes religieuses, ne s’effraient guère des divisions du protestantisme politique ; oportet hœreses esse. Tout le monde comprendra néanmoins qu’il fût urgent de mettre un terme à de pareilles luttes intestines, si l’on tenait à sauver quelques importantes situations menacées par l’ennemi. On essaya de plusieurs moyens de conciliation, et l’un des moins inefficaces fut sans contredit l’intervention d’arbitres choisis par les candidats eux-mêmes.

Deux hommes ont exercé sur la conduite des dernières élections, ou tout au moins sur le choix des candidats, une certaine action morale. MM. John Bright et Stuart Mill avaient l’un et l’autre des droits au respect de la démocratie anglaise, et nul ne s’étonnera qu’ils aient été consultés. Quiconque a suivi de près l’histoire politique de ces derniers temps sait pourtant très bien qu’ils sont en désaccord sur plusieurs points. Des esprits opposés marchant néanmoins sous la même bannière, cela s’est vu plus d’une fois en Angleterre et ailleurs ; mais à des contrastes de caractère et de talent très marqués s’ajoutent par malheur dans le cas dont il s’agit de sérieuses causes de désunion. M. Bright est le chef éloquent d’un parti ; M. Mill est le héros d’une idée. Avant et depuis son entrée au parlement, le député de Westminster avait donné le rare exemple d’un homme public très fidèle à son mandat, mais encore plus fidèle à lui-même et à sa manière de voir. Retranché derrière sa mâle indépendance et son inexpugnable franchise, on ne le vit jamais courber la tête ni devant le succès, ni devant l’opinion de ses amis,

  1. Hackney en anglais veut dire fiacre ; de là le jeu de mots dont j’ai cherché à reproduire le sens.