Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendus, et qu’aimaient à reconnaître tous les organes de l’opinion libérale ? A quoi bon la loi de 1867, si elle ne modifiait en rien le personnel et les vues du parlement ? Valait-il bien la peine d’avoir changé les conditions électorales du pays, si c’était pour avoir des députés tous choisis dans la même classe ? Beaucoup d’esprits justes et modérés voyaient d’ailleurs un grand avantage à ce que certains délégués du labeur manuel siégeassent dans l’assemblée de la nation. Très souvent le parlement anglais est appelé à décider des questions très importantes, les droits du capital et du travail, les rapports des maîtres et des ouvriers, les grèves, les dangers ou les services des trade’s unions. Certes il se trouve dans l’enceinte de la chambre assez d’économistes pour aborder ces divers problèmes avec les lumières de la science. Un élément essentiel manque pourtant à la discussion, c’est la voix des ouvriers eux-mêmes. Ceux qui, comme le professeur Fawcett et M. Hughes, ont fait de ces délicates questions une étude spéciale ne tiennent encore leurs renseignement que de seconde main. Ne serait-il point utile de connaître la pensée intime des ateliers ? Autrement ne court-on pas grand risque de répondre à des objections que ne font point les travailleurs et de glisser à côté de vives réclamations qu’ils adressent tous du fond du cœur ? Les séances se passent ainsi à combattre des fantômes et à remuer des ombres. Cette représentation du travail rencontrait pourtant plus d’un genre d’obstacles, et d’abord les hommes manquaient. A coup sûr il y a en Angleterre beaucoup d’ouvriers intelligens, quelques-uns d’entre eux ont même le don de l’éloquence ; tout dernièrement à Croydon un jardinier, M. Coldwells, dans un meeting électoral, surprit et enleva l’auditoire par l’éclat de sa parole ; mais jusqu’ici ces orateurs du peuple sont peu connus. A peine ont-ils eu le temps de gagner la confiance de leurs camarades. Les quatre ou cinq candidats ouvriers dans les dernières élections étaient des membres de la reform league sur lesquels le mouvement de 1867 avait attiré une attention passagère. Le plus en lumière et le plus sérieux de tous était sans contredit M. George Odger, qui se mit sur les rangs pour le bourg de Chelsea[1]. Secrétaire de la ligue, esprit ferme et net, nourri à l’école des faits, il avait étudié les opinions de sa classe, et était capable de les défendre sur les hustings. Malheureusement pour eux, ces

  1. M. Odger est cordonnier : deux Anglais très remarquables, le révérend Hartwell Horn, auteur d’une Étude critique des saintes écritures, et le métaphysicien Samuel Drew, qui publia un livre célèbre sur l’Immatérialité et l’Immortalité de l’âme, avaient commencé l’un et l’autre par exercer le même état que le candidat de Lambsth. Cela ne veut point dire que M. Odger leur ressemble pour le talent ; mais il connaît très bien les vœux des ouvriers et les exprime avec beaucoup de clarté.