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caractère d’un peuple ? Il serait trop long de signaler tous les progrès accomplis. Le mouvement qui se poursuit à travers des luttes pacifiques peut néanmoins se résumer en peu de mots. Le pouvoir, la vie politique, s’éloignent chaque jour des classes privilégiées pour se porter lentement, mais inéluctablement vers les masses. La chambre des pairs, l’église, ont beaucoup perdu de leur influence : un seul pouvoir a grandi et s’accroît encore tous les jours, c’est celui de la chambre des communes, élue, surveillée par la nation. Cet état de choses impose aux chefs des partis politiques, libéraux et tories, des obligations de plus en plus difficiles à remplir. Il ne leur suffit plus de gouverner, il leur faut prévoir, deviner le sentiment du pays. Les institutions, — qu’on ne songe d’ailleurs point à détruire, — doivent désormais réfléchir les vœux et les idées du temps où nous vivons. « Les hommes d’état existent pour le pays, le pays n’existe pas pour les hommes d’état. » Et qui a dit cela ? M. Gladstone, étonné du chemin qu’ont parcouru en quelques années l’Angleterre et lui-même.

Il fut un moment où le libéralisme ne comptait plus guère dans le monde que par ses défaites, et ce moment de l’histoire contemporaine a duré quatorze années. C’est peu pour l’avenir ; c’est beaucoup pour ceux qui vivent et qui, de 1852 à 1866, ont traversé cette triste époque. Moins que toute autre nation, l’Angleterre avait connu les défaillances et les assoupissemens de la conscience politique. Le long ministère de lord Palmerston tendait néanmoins à énerver les forces du parti libéral. Aujourd’hui quel changement sur toute la terre ! Le triomphe des républicains en Amérique et l’avènement de Grant à la présidence, la révolution en Espagne, les dernières élections en Angleterre, tout témoigne du réveil des peuples. Ce sont au contraire les gouvernemens personnels qui souffrent de cette maladie des vieillards, si admirablement définie par Montesquieu : « une grande impuissance d’être. » Il y a lieu de se réjouir et d’espérer. L’air revient, la lumière se fait, et la liberté agite ses ailes.


ALPHONSE ESQUIROS.