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expédition d’Angleterre, Du Guay-Trouin avait obtenu du roi d’armer à Brest pour une entreprise dont il gardait soigneusement le secret. Il s’agissait d’aller attendre aux Açores la riche flotte portugaise qui venait annuellement du Brésil. L’armement de Du Guay-Trouin se composait du Lys et du Saint-Michel, de 74 canons chacun, de l’Achille, de 66, de la Dauphine, de 56, du Jason, de 54, de la Gloire, de 40, de l’Amazone, de 36 et de l’Astrée de 22. Les commandans étaient M. de Géraldin, le chevalier de Gourserac, MM. de La Jaille, de Miniac, le chevalier de Nesmond, le chevalier de Goyon, MM. de Courserac l’aîné et de Kerguelen. Du Guay-Trouin, noblement superstitieux comme tous les grands hommes de mer, ne séparait point sa fortune de ses vieux compagnons de gloire, ses capitaines et ses vaisseaux. Il joignit à cette escadre une corvette de construction anglaise de 8 canons, qu’il confia à un jeune homme de ses parens pour servir de découverte, et une frégate de Saint-Malo de 30 canons qui devait venir le retrouver.

De son côté, le roi de Portugal avait fait diriger une escadre de 7 vaisseaux vers les Açores pour protéger la flotte du Brésil. Du Guay-Trouin, l’ayant appris en mer, passa au large de ces îles pour n’être point vu, et alla établir sa croisière à quinze lieues dans l’ouest. Il avait envoyé sa corvette faire le tour des Açores. Elle lui rapporta que l’escadre ennemie se composait de 3 navires portugais, 3 anglais et 1 hollandais, un des portugais à trois ponts, et tous les autres depuis 50 jusqu’à 70 canons, et qu’elle courait des bords au large, à l’ouest du fort de la Terceire. Au bout de trois mois, rien n’avait paru. Du Guay-Trouin eût été fort inquiet, si la corvette que tous les quinze jours il envoyait en observation ne lui eût assuré que les ennemis étaient toujours dans la même position. Enfin un soir, on aperçut un vaisseau venant de l’ouest et faisant voile vers les Açores. On lui donna la chasse, mais malheureusement il s’échappa pendant la nuit. Il était bien probable que ce navire informerait les Portugais de la croisière de l’escadre française, et que ceux-ci expédieraient un bâtiment d’avis à la flotte du Brésil pour lui faire changer sa route. De plus les vivres et l’eau commençaient à manquer. Du Guay-Trouin conçut alors un de ces hardis projets qui lui étaient habituels. Il résolut d’aller attaquer la flotte ennemie, qui devait être abondamment pourvue, de s’approvisionner en la capturant et de revenir ensuite reprendre sa croisière. Si par male-chance la flotte du Brésil passait pendant cette absence, il paierait toujours ses frais d’armement avec les canons de bronze que les Portugais avaient en grand nombre à leur bord. Seulement, s’écartent dans cette circonstance de ses principes de ne jamais assembler de conseil quand il est question de combattre,