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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


fait l’esclave, l’agent, parfois même le bourreau des Turcs, afin de préparer dans la suite l’affranchissement des Serbes. Au surplus, dans le détail si compliqué des événemens qui remplissent cette période, il y a deux traits qui dominent tout : contre les impatiens qui se lèvent avant l’heure et fournissent des prétextes aux représailles des Ottomans, Milosch est inflexible ; mais dès que la mesure est comble, c’est lui qui jette le cri de guerre, c’est lui qui, organisant la révolte d’après un plan tout nouveau, mêlant la ruse à l’audace, vrai renard, vrai lion, assure la victoire d’un peuple désarmé sur les escadrons de Mahmoud. N’y a-t-il pas là une suite de circonstances qui révèle chez le héros sauvage des principes nettement conçus et logiquement enchaînés ?

Nous avons parlé de la patience de Milosch et de la patience des Serbes ; il faut reconnaître qu’elle était mise à de rudes épreuves. Les troupes turques inondaient le pays ; avec les spahis et les janissaires étaient revenus les anciens habitans turcs, les maîtres des villes et des palankes, ceux qu’on avait chassés en 1804 ; on devine quelles vengeances ils exercèrent sur un peuple vaincu. Chassés des villes à leur tour et condamnés à la glèbe, les paysans étaient écrasés d’impôts, de réquisitions, de contributions de guerre, que les soldats turcs allaient réclamer le cimeterre au poing. On les obligeait de travailler aux fortifications, on leur prenait leurs armes, une terreur sombre les enveloppait. Porter un objet qui pouvait tenter la cupidité des Turcs, c’était s’exposer à la mort. La femme de Milosch elle-même, la femme du knèze de Roudnik mettait ses habits rustiques les plus grossiers quand le surveillant turc avec son escorte devait inspecter son humble demeure de Brousnitza. Au danger perpétuel de la situation se joignaient de perpétuels outrages. Il était manifeste que des occasions de révolte pouvaient naître à tout instant, il était manifeste aussi que la moindre révolte aurait amené l’extermination des Serbes. La pensée constante de Milosch était d’intervenir à propos, d’étouffer les étincelles, de prévenir l’incendie. Vers la fin de l’automne 1814, un fonctionnaire turc et un ancien voïvode serbe, tous deux accompagnés de leurs gens, se rencontrent au couvent de Ternava. Ils venaient y chercher un abri contre la peste, qui sévissait alors en Serbie. L’ancien voïvode s’était soumis aux Turcs, attendant comme Milosch, mais avec moins de patience, le moment de se venger. Un jour qu’il se promenait dans la campagne avec le fonctionnaire ottoman, les deux escortes se prirent de querelle en l’absence de leurs maîtres, et les Serbes, que secondaient les moines, eurent bientôt garrotté leurs adversaires. C’était l’étincelle dont nous parlions tout à l’heure. Le feu gagne de proche en proche, et voilà le voïvode, qui ne demandait pas mieux, à la tête d’une insurrection. Hadschi-Prodan, — c’est son nom, —