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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


serbe, parce qu’il l’a préservé du pillage, de la servitude, de la mort, parce qu’il a su le contenir et le sauver[1]. »

Étouffer l’insurrection d’Hadschi-Prodan, c’était asssurément le premier devoir de Milosch au nom du salut commun ; un auti’e devoir était d’arracher à la fureur des Turcs les imprudens qui s’étaient compromis, et d’après de nombreux témoignages il paraît bien que sur ce point aussi Milosch n’a pas failli à son rôle. Protecteur naturel des Serbes, il opposait son autorité, ses services, les promesses du pacha de Belgrade, aux rigueurs des agens turcs ; si l’ascendant moral n’obtenait rien, il employait la ruse. C’est lui qui sauva la belle-fille d’Hadschi-Prodan en lui faisant revêtir des habits d’homme. Mais comment un seul homme aurait-il suffi à pareille tâche ? Il eût fallu se multiplier, intervenir partout, être partout à la fois. En promettant à Milosch d’accorder la vie sauve à ceux qui se soumettraient, Soliman avait donné aux chefs de ses troupes des instructions toutes différentes. Les Turcs firent main basse sur un grand nombre des hommes les plus importans du pays ; mais il faut reproduire ici la douloureuse et touchante naïveté des chroniques locales :


« Quand le lieutenant du pacha de Belgrade entra dans Jagodina, les gens du pays vinrent à sa rencontre et lui fournirent les provisions de bouche ; ces démarches ne le touchèrent point. Là aussi, comme à Kragonjevatz, il s’empara de tous les hommes notables et les fit charger de fers. Quelques jours après, il partit avec ses troupes, emmena tous ses prisonniers au nombre de 115, les conduisit enchaînés à Belgrade et les emprisonna dans une des tours. Aussitôt que l’insurrection fut entièrement apaisée et la tranquillité rétablie, on les fit sortir de prison (c’était le jour de Saint-Sava, la veille de Noël), on les décapita aux quatre portes de la ville, et on décora de leurs têtes les murailles de Belgrade. Le supérieur du couvent de Ternava ainsi que 36 hommes dont les noms sont inconnus furent empalés vivans. À ceux que Soliman-Pacha fit décapiter ou empaler dans Belgrade, si l’on ajoute ceux qui furent tués çà et là dans les districts, il y eut au moins 308 Serbes qui périrent en cette occasion, et c’étaient presque tous de jeunes hommes… Milosch était profondément consterné de voir que Soliman-Pacha avait violé sa parole, qu’il l’avait trompé, qu’il avait mis à mort les rebelles, après que lui, Milosch, les avait décidés à se rendre sur des promesses loyalement faites et loyalement acceptées. Il en vint donc à faire les raisonnemens que voici : « cet homme ne tient pas sa parole, il n’y a rien à faire avec lui. S’il commet aujourd’hui une telle déloyauté, s’il fait périr tant d’hommes sans se soucier de ce qu’il a dit, puis-je être

  1. Das Leben des Fürsten Milosch und seine Kriege, nach Serbischen Originalquellen bearbeitet, von P.-A. Fedor Constantin Possart ; 1 vol. Stuttgart 1838, p. 30-31.