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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


promise, et je te la rapporterai. La somme est considérable ; pour me la procurer, il faut vendre bon nombre de bœufs et de porcs ; moi seul je puis faire cela. Laisse-moi donc partir. » La cupidité du pacha fut plus forte que sa cruauté. Milosch partit à cheval ; quelques jours après, il était dans ses montagnes de Roudnik au milieu d’une bande de Serbes tous résignés jusque-là, mais tous résolus désormais à vivre et à mourir en haïdouks plutôt que de subir encore l’exécrable joug des vainqueurs.

III.

À mi-côte des montagnes de Roudnik, au-dessus de la vallée et du village de Tsernuscha, s’élèvent deux maisons agrestes assez semblables aux chalets de la Suisse. La forêt épaisse et sombre qui commence à quelque distance des bâtimens couvre la montagne jusqu’au faîte. Devant, sur les pentes qui conduisent doucement à la plaine, s’étendent des champs et des vergers. Le voyageur autrichien que nous avons souvent cité, M. Kanitz, a visité récemment ces lieux qu’il appelle le berceau de la liberté serbe[1]. Après avoir décrit la maison où habitait Milosch, l’installation intérieure, la salle de famille, la petite chambre et le prie-Dieu de la princesse de Serbie, il termine par ces paroles : « Je n’ai pas quitté sans émotion la demeure modeste qui vit germer et mûrir dans l’âme impénétrable du knèze de 1815 les résolutions d’où est née la délivrance des Serbes. Les cris de la nation écrasée ont retenti jusque sous les ombrages bienfaisans de ces pommiers, qui bien des fois à cette époque abritèrent l’inflexible knèze et ses compagnons. C’est de Tsernuscha que Milosch, en ce mémorable dimanche des Rameaux, s’est rendu à l’église de Takovo, et il n’est revenu dans le paisible bourg qu’après de rudes combats, vainqueur et prince de la Serbie délivrée ! Aujourd’hui les maisons bien construites, les champs bien entretenus, l’aisance qui brille partout à Tsernuscha, témoignent de la protection particulière que la seconde patrie des Obrenovitch doit au souvenir reconnaissant de la famille régnante. »

C’est là en effet que Milosch arrive au galop de son cheval après avoir échappé aux mauvais desseins du pacha. Que trouve-t-il en sa maison ? Le fait est significatif ; il trouve un certain nombre de Serbes qui avaient pris part à la révolte d’Hadschi-Prodan, et qui s’étaient soumis sur son invitation. Maintenant qu’il était impossible de se soumettre plus longtemps, ils venaient tous à Milosch, comme à leur chef naturel. Milosch accepte le commandement, l’insurrection se prépare dans l’ombre, les grands jours de 1804 vont re-

  1. An der Wiege der Serbischen Freiheit. Kanitz, Serbien, Leipzig 1868, p. 55-58.