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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


Roudnik, et les bandes serbes, dispersées par des forces supérieures, avaient passé tout à coup de l’enthousiasme au désespoir. Parmi ces malheureux, les uns parlaient de se rendre aux Turcs, bien plus de marcher avec eux, de combattre la révolte, de rétablir la paix, de gagner enfin la bienveillance des oppresseurs afin de sauver leurs femmes et leurs enfans ; les autres répondaient : « Tout est perdu, c’est folie de compter sur la pitié des Turcs, il ne nous reste plus qu’à fuir dans les montagnes et à y mourir en haïdouks. Après avoir tué les Turcs un à un, chaque jour, chaque "nuit, sans trêve ni relâche... — Et nos femmes ? et nos enfans ? les Turcs se vengeront sur eux... — Tuons-les donc nous-mêmes. » Pendant que ces délibérations horribles avaient lieu dans plus d’un village, Milosch redoublait d’activité pour organiser la résistance. À l’heure la plus critique, il reçut un renfort inespéré ; un simple artisan de la Schoumadia, homme jusque-là débonnaire et pacifique, exalté sans doute par les horreurs dont il avait été le témoin, déploya tout à coup une ardeur extraordinaire, rassembla des bandes et amena un millier d’hommes à Milosch. Il s’appelait Jean Dobratscha. Les découragés reprirent du cœur, l’ennemi fut harcelé de nouveau, on appelait, on attendait d’autres soulèvemens, si bien que le chef turc, craignant d’être cerné dans les montagnes de Roudnik, se dirigea vers la vallée de la Morava, traversa le fleuve, et prit position sur la rive droite. Rien ne favorisait mieux les projets de Milosch ; il courut dans la direction de l’ennemi, et, pour lui ôter le temps de réparer sa laute, se fortifia solidement sur la rive gauche, résolu à lui disputer le passage. Les Turcs essayèrent bien de jeter quelques bataillons au-delà du fleuve sur les points qui semblaient mal gardés, mais alors recommençait la terrible guerre des haïdouks ; chaque rocher, chaque touffe d’arbres cachait un freyschadz invisible. On se croyait en sûreté, tout à coup sifflait une balle, et un cadavre roulait sur le sol. Les paysans, les moines, les enfans et les femmes, chacun combattait à sa manière. Que de corps morts furent charriés par la Morava sous les yeux des Turcs épouvantés !

Tandis que les forces de l’ennemi étaient ainsi tenues en échec sur les bords de la Morava, les appels de Milosch ne retentissaient pas en vain au-delà du territoire de Roudnik. Il y eut des soulèvemens au nord et à l’ouest, du côté de Belgrade et de Valjévo. Les spahis, pour arrêter le mouvement, voulurent former un camp retranché à égale distance de ces deux villes, à Palesch, sur la rive droite de la Koloubara ; Milosch, instruit de ce projet, y court aussitôt avec ses meilleures troupes, met les spahis en fuite, et leur prend un canon. Voilà un commencement d’artillerie au service des insurgés. La nouvelle de cette victoire traverse le Danube ; du Banat, de la Sirmie, de toutes les contrées autrichiennes où s’étaient