Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
REVUE DES DEUX MONDES.


ce message aux insurgés ? Ce conflit de ruse et de mauvais desseins ne dura pas moins de quatre jours. Milosch réussit enfin, non sans peine, et grâce à l’énergique loyauté du chef des délhis, à quitter le camp turc.

Irait-il maintenant trouver Maraschli-Ali, qui lui donnait rendez-vous dans son camp, sur la frontière orientale ? Il venait de courir un grave danger auprès de Kurchid, un des hommes les plus respectés de son pays, et Maraschli était un personnage fort suspect que les Turcs eux-mêmes surnommaient le tendeur de piéges (dubaradgi). Il ne crut pas cependant qu’il lui fut permis d’hésiter. Sa vie fût-elle menacée, un chef a des devoirs à remplir. Les inquiétudes et les colères que les Serbes avaient manifestées pendant son séjour au camp du vizir, la joie qui avait éclaté à son retour, tout cela prouvait bien que la nation veil ;ait, qu’elle était résolue à poursuivre son œuvre, que le succès de l’insurrection ne tenait plus à un seul homme. Il comptait d’ailleurs sur la haine de Maraschli pour Kurchid ; évidemment Maraschli tiendrait à honneur d’enlever à Kurchid le règlement des affaires de Serbie, et par conséquent de s’entendre avec Milosch. Le hardi knèze se rend donc auprès du tendeur de piéges. Maraschli le reçoit avec faveur, lui offre la pipe et le café, signe d’amitié bien rare d’un Turc à un raïa, puis dès les premiers mots, avec une libéralité joyeusement familière : « Les Serbes, dit-il, veulent garder leurs armes ; qu’importe, du moment qu’ils seront les sujets loyaux du sultan ? Gardez vos pistolets, portez même, si vous pouvez, des canons à la ceinture. Qu’à cela ne tienne ! si cela dépendait de moi, je vous mettrais tous en selle sur des chevaux arabes, et je vous donnerais à tous pour vêtement des fourrures de zibeline. » Ces propos se tenaient, bien entendu, après que Milosch avait expliqué les motifs de sa révolte et fait ses protestations de fidélité. « Êtes-vous les sujets soumis de l’invincible, très puissant et très clément padischa ? » avait demandé le vice-roi, et par trois fois, selon l’étiquette, Milosch avait répondu solennellement : « Nous le sommes. » On s’entendit bien vite sur les préliminaires de paix : il fut convenu que Milosch, dont les compagnons occupaient la frontière, ferait retirer ses troupes, qu’une partie de l’armée de Maraschli, 7 ou 8,000 hommes, irait camper aux environs de Belgrade, et que des députés seraient envoyés à Constantinople pour obtenir, sur la recommandation du vice-roi, les garanties réclamées par les Serbes. Toutes ces négociations, dont les chroniques locales ont conservé le détail, s’accomplirent heureusement. Milosch retourna dans l’intérieur du pays pour faire cesser les hostilités, les Turcs s’avancèrent vers Belgrade, les députés, soutenus par la diplomatie russe, obtinrent du divan tout ce