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les vérités nouvelles qu’il veut faire connaître au public français. Comme il est encore fort novice dans les sciences, il se borne à énoncer les résultats généraux, les faits qu’il a pu comprendre. Il y met une grande modestie. « Je vais vous exposer, dit-il, si je puis sans verbiage, le peu que j’ai pu attraper de toutes ces sublimes idées. » Sa seule ambition est d’être clair « comme les petits ruisseaux, qui sont transparens parce qu’ils sont peu profonds. » Bientôt cependant nous le retrouverons mieux armé, plus instruit et plus capable d’aller au fond des choses.

Il saisissait en tout cas les idées pratiques des Anglais et les nouveautés qu’il pouvait être utile d’introduire en France. C’est ainsi que les Lettres philosophiques recommandent vivement deux mesures hygiéniques pour lesquelles Voltaire fit pendant toute sa vie une propagande active. Les Anglais avaient pris l’habitude d’enterrer leurs morts hors des centres de population, et il y avait Là un exemple salutaire à suivre, car en France non-seulement les cimetières étaient situés au milieu des villes, mais les églises mêmes, remplies de sépultures, devenaient souvent de véritables foyers d’infection. La seconde des mesures dont Voltaire se montra le zélé défenseur est l’inoculation de la petite vérole. Les Circassiens avaient les premiers, à ce qu’il paraît, imaginé de donner la petite vérole à leurs enfans sous une forme bénigne pour les empêcher de subir ensuite le fléau dans toute sa violence. Ils avaient été conduits à cette coutume par le désir de préserver la beauté de leurs filles, destinées aux grands harems de la Turquie et de la Perse. Répandue à Constantinople par les femmes circassiennes, la pratique de l’inoculation y avait été recueillie par une ambassadrice d’Angleterre, lady Wortley Montagne, qui n’avait pas hésité à l’appliquer à son jeune fils. De retour à Londres vers 1720, lady Montague gagnait à ses idées la princesse de Galles, qui fit elle-même inoculer ses enfans. L’Angleterre entière suivit cet exemple, et Voltaire, après avoir constaté de ses propres yeux les bons résultats de l’inoculation, n’eut pas de cesse qu’il ne l’eût fait adopter en France, Il y dut mettre une grande persévérance, car les « Welches » avaient la tête dure, et d’ailleurs les médecins aussi bien que le clergé s’opposaient vivement à cette nouveauté.


II.

Voltaire revint d’Angleterre en 1733, et c’est à cette époque qu’il se lia avec la marquise du Châtelet, la docte Emilie, celle que le grand Frédéric, dans la langue galante de l’époque, appelait Vénus-Newton. Cet attachement, qui remplit quinze années de la vie de