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de se laisser fléchir, il bâtonna avec colère et à grands traits de plume le rapport de son ministre. Le grief de Napoléon contre le grand-vicaire de Séez se trouvait justement être tout l’opposé de celui qu’il venait de mettre en avant contre l’évêque de ce même diocèse. « Ce chanoine a trop d’esprit, s’écria-t-il, c’est un homme dangereux; qu’on le mette à Vincennes[1]. » M. Le Gallois y passa en effet neuf mois. Cruellement atteint d’une attaque de paralysie, il n’obtint d’en sortir que pour être détenu dans la maison de santé où étaient alors enfermés les deux MM. de Polignac, et la chute de l’empire mit seule fin à sa captivité.

On se demande quel profit l’empereur pensait tirer, à la veille de la réunion du concile, de ces mesures impitoyables. Le clergé français, devenu peut-être un peu froid à son égard depuis la captivité de Pie VII, ne lui était au fond nullement hostile. D’adversaires déclarés ou même sourdement malveillans, il n’en comptait point parmi les ecclésiastiques de France qui jouissaient de tant soit peu de réputation dans leur corps ou de quelque influence sur le gros des populations. En se proposant d’intimider aussi inutilement tout un monde qui ne songeait guère à lui résister, Napoléon réussissait uniquement à y susciter des inquiétudes et des ombrages que plus tard il ne devait plus être en mesure de calmer entièrement. Sa conduite n’était donc en cette circonstance ni sage, ni prudente, ni habile. Pouvait-il s’imaginer qu’il avait besoin de faire acte de brutale omnipotence, de frapper de terreur les futurs membres du concile par la destitution de l’évêque de Séez, le souverain qui n’avait pas regardé, il y avait un an à peine, à dépouiller de la pourpre treize membres du sacré-collège, qui venait de jeter trois d’entre eux dans le donjon de Vincennes, et de placer sous la surveillance de sa police un si grand nombre de prélats amenés de l’autre côté des Alpes dans ses provinces de France avec l’escorte de la gendarmerie? Comment, s’il n’avait perdu le juste sentiment de sa véritable situation, l’empereur ne comprenait-il pas qu’il avait en ce moment beaucoup plus besoin de rassurer les hommes d’église que de les épouvanter? Les timides prélats qui arrivaient maintenant

  1. Les détails que nous donnons sur la destitution de l’évêque de Séez et l’arrestation de M. Le Gallois sont confirmés par la lettre suivante de l’empereur à son ministre des cultes, laquelle d’ailleurs, comme beaucoup de celles qui ont trait aux sévices exercés par l’empereur contre le clergé, n’a pas trouvé place dans la Correspondance de Napoléon Ier. «J’ai chassé de chez moi l’évêque de Séez, et j’ai fait arrêter et conduire à Paris un de ses chanoines nommé Le Gallois, et j’ai fait mettre les scellés sur ses papiers. Le ministre d’état vous enverra la démission de l’évêque. Il est impossible d’avoir un plus mauvais esprit, et tout allait mal dans son diocèse.... » (L’empereur Napoléon au ministre des cultes, 2 juin 1811.) — Non insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.