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d’ordre[1]. » Le secret, toujours le secret, pour Napoléon, voilà le point essentiel, et sur lequel il ne varie jamais. Cela lui importe tellement qu’il ne peut s’empêcher d’y revenir encore dans une lettre particulière adressée à peu près à la même époque à M. Bigot de Préameneu. « Ayez soin, lui écrit-il le 20 juin, c’est-à-dire le jour où se tenait la première congrégation générale, ayez bien soin de ne rien laisser imprimer que je ne l’aie vu. Le mandement même ne doit pas être imprimé avant que vous ne me l’ayez soumis. Veillez à ce qu’il n’y ait dans l’assemblée aucun folliculaire ni étranger. Il faut qu’il n’y ait que des évêques. Quant aux prêtres qu’on propose d’y admettre, j’autoriserai, si cela est absolument nécessaire, l’entrée d’une douzaine de prêtres dont vous me remettrez avant la liste avec des renseignemens sur chacun d’eux. Il faut que ce soient de bons prêtres, et non des réacteurs. Le rapport que vous faites au concile ne doit pas être imprimé. Vous devez simplement le remettre, après l’avoir lu, au comité du concile. Le comité ne pourra faire imprimer son rapport que quand je l’aurai approuvé, en n’y joignant que les pièces qui seront convenues[2]… »

Vit-on jamais pareil luxe de précautions prises contre toute ombre de publicité et de plus méticuleux efforts tentés contre l’apparence même de la liberté ? Mais la publicité et la liberté, ces précieux auxiliaires du bon droit et des justes causes, dont une notable partie du clergé s’est toujours obstinée à répudier le secours, lui auraient été cette fois trop favorables, et l’empereur n’avait rien plus à cœur que de lui en retirer le bénéfice. A son point de vue, l’empereur avait d’ailleurs parfaitement raison, car il ne pouvait désormais triompher qu’à huis clos. C’était uniquement à l’aide d’arrangemens pris dans de mystérieux conciliabules et grâce au silence imposé à des adversaires devenus trop incommodes qu’il pouvait se flatter de mener jusqu’au bout la lutte entreprise et maintenant poussée à toute extrémité contre le chef de la catholicité. Si nous avons réussi à donner une idée exacte de la situation d’esprit des prélats qui composaient le concile national de 1811, nos lecteurs doivent avoir compris qu’ils se partageaient en deux groupes bien inégaux en nombre. D’un côté était le petit noyau d’évêques qui servaient de meneurs à l’empereur. C’étaient, outre les quatre prélats envoyés à Savone, c’est-à-dire MM. de Barral, Duvoisin, de Mannay et le patriarche de Venise, le cardinal Maury et l’abbé de Pradt. Avec eux, le chef de l’état était libre de débattre sans ambages, car de part et d’autre la confiance était en-

  1. Note dictée par l’empereur à son ministre des cultes. Cette note n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier, 17 juin 1811.
  2. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, Saint-Cloud, 20 juin 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXII, p. 203.