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breux. Sans même faire intervenir aucun élément étranger, il est clair que, dans une région donnée, l’une et l’autre ont assuré aux individus qui se modifiaient pour mieux s’adapter aux conditions d’existence, à leurs descendans qui s’isolaient et se transformaient en espèces, une supériorité de plus en plus marquée sur les espèces qui ne changeaient pas. Celles-ci, devenues inférieures au point de vue de l’adaptation, ne purent donc que succomber et être remplacées par des formes nouvelles. En pareil cas, la substitution dut s’accomplir progressivement et peu à peu. Elle put au contraire être brusque à la suite d’une invasion analogue à celles dont les animaux et les plantes de nos jours fournissent des exemples ; mais il faut alors supposer que les espèces conquérantes s’étaient formées ailleurs, car toute apparition subite d’un type ou d’une espèce comptant d’emblée de nombreux représentans est en désaccord complet avec les fondemens mêmes de la doctrine darwinienne.

Ces changemens dans les faunes paléontologiques embrassent parfois le monde entier, et semblent s’être accomplis à la même époque. En outre les types de remplacement présentent dans les deux mondes et dans les deux hémisphères la plus frappante analogie. Par exemple, les mollusques de la craie d’Europe ont leurs termes correspondans dans les deux Amériques, à la Terre-de-Feu, au cap de Bonne-Espérance et dans l’Inde. Les espèces ne sont pas identiques ; mais elles appartiennent aux mêmes familles, aux mêmes genres, aux mêmes sous-genres, et parfois les mêmes détails caractéristiques se retrouvent dans les deux mondes. Cette transformation simultanée des formes organiques, ce parallélisme des faunes a vivement excité l’attention des paléontologistes. De pareils phénomènes, disent MM. d’Archiac et de Verneuil, « dépendent des lois générales qui gouvernent le règne animal tout entier ; » ils posent évidemment à la science un problème des plus intéressans. Eh bien ! encore ici la théorie de Darwin peut s’accorder avec les faits. Il suffit d’admettre avec lui que sur un point donné du globe existait aux époques dont il s’agit une famille, un genre même dominant sur une contrée étendue, composé d’espèces à la fois très nombreuses et facilement variables, capables par conséquent de s’adapter aisément aux milieux les plus divers. Un pareil groupe devra inévitablement s’étendre de proche en proche et en tout sens. Ses représentans, rapidement perfectionnés, détruiront et remplaceront les espèces locales, et ne s’arrêteront que devant des barrières infranchissables, telles qu’en présenteraient les terres pour des espèces marines. Dans ces migrations lointaines, et par suite des conditions d’existence qu’elles rencontreront, les espèces du groupe conquérant se modifieront sans doute, la loi d’adaptation tirera de ce fonds commun une foule d’espèces nouvelles ; mais la loi de ca-